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François d'Assise saint patron des écologistes (Sermon de Saint-François aux oiseaux par Giotto) |
Ma jeunesse a baigné dans la spiritualité franciscaine et ma vieillesse comporte une part de fidélité à cette histoire. C’est en lisant les Fioretti et le Cantique de Saint-François à Frère Soleil, Sœur Lune et aux Créatures que je me suis d’abord éveillé aux beautés de la création et à la fraternité aux plus pauvres d’entre nous. Sans doute vient de là aussi mon amitié ancienne pour les ânes et particulièrement pour l’ânesse Modestine de Robert-Louis Stevenson. François d’Assise a été canonisé par une Eglise qui avait beaucoup à se faire pardonner en un temps où la frontière était ténue entre la canonisation et le bûcher (ceux qui ont lu « le Roman de la Rose » d’Umberto Ecco comprendront). C’est aussi une Eglise qui a beaucoup à se faire pardonner (mais quelle institution humaine n’a pas à se faire pardonner ?) qui a érigé François d’Assise, plus récemment (une trentaine d’années) en saint patron de ceux et celles qui se préoccupent d’écologie.
Il a aura fallu près de huit siècle pour qu’un pape porte ce nom, c’est pour moi, ce soir, un formidable signe d’espoir. J’avais relu ces temps derniers le droit canon pour voir qui était éligible et j’y avais appris, ce dont aucun média ne vous a tenu informé, que tout prêtre catholique ou simple moine était éligible. Et de fait, au moyen âge, les papes qui n’étaient pas cardinaux mais des hommes sages ou savants ou simples moines ne furent pas si rares en un temps où la foi chrétienne était plus largement partagée. J’ai failli vous en entretenir tant l’ensemble des médias semblait ignorer complètement cette donnée, mais la rapidité du conclave ne m’en a pas laissé le temps. Alors cette élection, (dans un scrutin qui n’est pas si éloigné des règles de nos sénatoriales) d’un pape si éloigné dans ses choix de vie, des pompes et palais dorés de le curie romaine (notre République ne fait guère mieux), quelle joie !
Vous me direz : et les femmes ? C’est une vraie question. Les textes fondateurs des grandes religions monothéistes ont été écrits dans des temps ou dominaient une culture, une politique, un droit public, patriarcaux. Elles peinent (même le bouddhisme n’y échappe guère) à se dégager d’une lecture littérale et les forces les plus obscurantistes et conservatrices y travaillent sans relâche (pas seulement dans le monde musulman comme on le dit trop souvent). Mais l’espoir luit, dans toute ces cultures, que les conservatismes finissent par céder le pas à une lecture des écritures sur des fondamentaux moins racrapotée et plus fraternelle. Déjà une partie des églises luthérienne élisent des prêtres et évêques femmes et même homosexuel (le)s. Beaucoup de femmes d’origine musulmane et dans les églises chrétiennes sont en lutte pour de nouveaux droits. Au moins peut-on espérer qu’on ne verra pas ce nouveau Pape tenir la main de Frigide Barjot dans les rues de Paris et que le message évangélique n’est pas, chez lui, soluble dans l’eau de rose.
Une chose me réjouit aussi c’est qu’il vienne d’Argentine. J’ai vécu en Amérique du Sud dans les années soixante dix, j’y ai côtoyé des sœurs et des prêtres catholiques d’origine française engagés dans les luttes pour la défense des plus pauvres, je sais le prix de sang très élevé que beaucoup (et tant d'autres) ont payé (et dont il n’est presque pas de mémoire collective) au temps des dictatures les plus féroces. Les choix de vie du cardinal argentin Jorge Mario Bergoglio font douter qu’il ait pu être de ceux (pas si rares dans l’épiscopat sud-américain) qui ne barguignèrent pas à bénir les bourreaux des « grands cimetières sous la lune ».
Un de mes livres de chevet est le « sermon de Saint-Antoine aux poissons » d’Antonio Vieira. C’est un texte fondateur de l’écologie politique dans une langue magnifique (Fernando Pessoa dit, et c’est mérité, qu’il est un des plus grands prosateurs de la langue portugaise). Antonio Vieira est un père jésuite (comme le nouveau pape) du XVII ème qui n’échappa au lynchage par ses paroissiens (colons portugais du Brésil), après un de ses sermons, qu’en s’embarquant promptement pour l’Europe. Au Portugal et en Espagne il échappa de justesse aux foudres de l’inquisition grâce à l’intervention d’un pape lettré qui en fit un des diplomates les plus remarquables de son temps. Une œuvre que je ne saurais trop vous recommander et que le nouveau pape a sans doute lue. Le cas d’Antonio Vieira n’est pas une rareté dans l’Amérique latine de cette période et ceux qui en connaissent l’histoire savent combien nombre de jésuites et de franciscains œuvrèrent à protéger ou émanciper les communautés indiennes de la rapacité du monde colonial. Le monde musical redécouvre par exemple actuellement les partitions baroques de compositeurs indiens oubliés de Bolivie et du Paraguay qui donnent à voir que le paternalisme n’était pas le seul ressort de ces entreprises.
Cela va faire hurler beaucoup d’entre vous, tant la légende noire des jésuites est forte dans notre pays (et ça ne date pas de la République, nos rois imbus de leurs privilèges gallicans ne barguignèrent pas à les stigmatiser comme dangereux internationalistes), mais je me réjouis aussi que le nouveau pape soit un jésuite.
N’étant pas né avec une petite cuillère en argent dans la bouche je n’ai pas été éduqué par les pères jésuites comme quelques uns de mes amis. Cela me laisse peut-être une plus grande disponibilité pour lire leurs travaux savants ou spirituels. J’ai une grande curiosité actuellement pour les travaux scientifiques si remarquables des jésuites en Chine aux XVIIème et XVIII ème (finalement condamnés par Rome mais réhabilités aujourd’hui).
Comme des récits de voyages des pères franciscains, moins connus que Marco Polo, qui dès le XIII ème siècle voyagèrent en Chine et reprirent langue, au temps de Gengis Khan, avec les civilisations d’Asie centrale et orientale et le christianisme nestorien qui y était présent sans doute depuis les premiers siècles du christianisme.
L’histoire de la route de la soie est passionnante parce qu’elle détruit l’idée de l’étanchéité des civilisations et du caractère inexorable de la guerre entre elles.
Longue vie donc à ce pape qui a traversé les océans pour devenir évêque de Rome.
Je vous conterai un jour prochain l’histoire de l’origine de la pomme, elle aussi beaucoup voyagé sur cette route de la soie et il n’est pas impossible que sur cette route puisse s’apercevoir des leçons pour une gestion de nos vergers moins chimique et plus verte.
Si vous ne l'avez pas encore lu allez aussi voir le petit film et le texte que j'ai consacré à un autre jésuite, le Père René Courtois, créateur du jardin des simples de l'Abbaye de Vauclair dans l'Aisne en cliquant ici