mercredi 1 août 2012

Lettre de Mongolie : in memory Chris Marker

Ce matin, écoutant les nouvelles à la radio et lisant le quotidien dont le fond de l’aire est rouge (il a rosi mais pas son logo), je caresse un chat sur la grande jetée du port de Valparaiso. J’y ai vécu et le commentaire du film de Joris Ivens, écrit par celui dont parlent les journaux aujourd’hui, n’y était pas pour rien. Valparaiso, ville où l’on montait en ascenseur vers les collines où s’affrontaient, par jeu de grand vent, les enfants à « volantines », je ne savais pas encore qu’elle deviendrait pour des décennies, une ville  sans soleil. Un officier de marine proche de l’unité populaire nous avait procuré l’autorisation de visiter l’Esmeralda, voilier magnifique et navire école de la marine de guerre chilienne. Le comité d’accueil y fut rude (genre « barbudos Cuba no ! ») et nous ne dûmes qu’à une retraite précipitée le sauvetage de notre petit matériel photographique et pellicules. Nous devions comprendre peu après que les fonds de calles de l’Esmeralda avaient été transformés en bagne pour les militants du MIR soupçonnés de vouloir « infiltrer » l’armée chilienne, les témoins n’étaient pas les bienvenus. Au cœur du bel été chilien une partie de l’armée, déjà, préparait ce qu’elle accomplirait à grande échelle en septembre.

Dans les années d’après guerre il a longtemps écrit dans une revue où j’ai appris à lire, et un peu à philosopher : « Esprit ». On disait qu’il avait été un des créateurs de la collection « Petite Planète » qui, pour ma génération, fut si belle et si novatrice aventure éditoriale. J’y ai lu très jeune son « Giraudoux par lui même » dont il sut me faire aimer l’élégance de style. J’ai revu récemment au « forum des images », le « Joli mai », le portrait sans doute le plus perspicace du Paris de notre après guerre (celle d’Algérie). Je ne savais pas encore qu’il serait à nos côtés dans un autre mai à venir. Lui, déjà, l’espérait.

Quand des revers de fortune m’ont conduit, il y a quelques années à vendre ma bibliothèque de cinéphile, beaucoup de ce qui me venait de lui est parti pour le Japon. J’ai correspondu un temps avec ces acheteurs du bout du monde, j’ai compris qu’il y était aimé. Un bar à Tokyo a pour nom « La jetée ». Je suis émerveillé de savoir que « la Jetée » est un film culte pour la jeunesse du monde, comme il l’a été pour ma génération, parce qu’il a inspiré des créateurs de leur âge. Chris Marker a semé tant de petits cailloux dans tant de domaines de l’exploration du réel, de l’imaginaire, de la création, et dans des formes si diverses, qu’il m’est impossible de croire à sa mort annoncée.

Il était un homme pont, d’une générosité folle, compagnon de bon nombre de ceux dont l’œuvre a germé dans l’effervescence des mouvements de culture populaire au sortir de la résistance (Resnais, Ivens, Varda, Ruspoli, Matta, Rouch, Gatti, William Klein…). Peu (très peu) d’images de lui. Comme Julien Gracq, il se gardait du bruit des médias officiels. Ceux qui ont vu sur Arte « Varda par ci, Varda par là » se souviendront peut-être d’avoir aperçu l’ « ouvroir » dont il se disait l’artisan.

Les journaux racontent aujourd’hui qu’il est né à Neuilly-sur-Seine. N’en croyez rien, il est né à Oulan-Bator et j’espère vous écrire un jour une lettre de Mongolie pour vous donner des ses nouvelles.

Pour en savoir plus :

http://www.arte.tv/fr/Hommage-a-Chris-Marker/6845086.html

Pour regarder "La jetée" et "A Valparaiso" sur Vimeo :


http://www.vimeo.com/5690624


http://www.dailymotion.com/video/xz5cs_la-jetee-1962_creation