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mercredi 18 avril 2012

Thiérache : vers un bocage peau de chagrin ?

Que faire face à ce constat ? L'âne vert s'associe bien volontiers et co-signe la tribune libre qui suit
Vers un bocage peau de chagrin ?


Le bocage et ses haies vives qui est le paysage que nous aimons, façonné au fil des siècles par des générations d’herbagers producteurs de la merveille de Maroilles, le bocage thiérachien se réduit à vitesse accélérée, chacun le constate, et les chiffres des recensements de l’agriculture le confirment.
En dix ans la Thiérache a perdu près de 300 exploitations agricoles, pour l’essentiel des producteurs de lait. En vingt ans les surfaces de prairies herbagères ont reculé de plus de 53% dans l’Aisne, pendant que le nombre d’exploitations laitières chutait de 68% et que le cheptel de vaches laitières, malgré l’augmentation de la taille des troupeaux, reculait de 36%. C’est en Thiérache dont ce fut longtemps la spécialisation identitaire que ces reculs se sont faits pour l’essentiel.

A l’origine de ces bouleversements :
- très souvent le découragement des producteurs de lait dont la production n’est pas rémunérée à la hauteur du travail sans temps morts qu’elle exige
- la pression sur le foncier des filières agricoles plus rémunératrices sur le court terme, l’abandon des régulations de marché qui assuraient des prix planchers aux producteurs et rendaient possibles, en maîtrisant le foncier, des ambitions d’aménagement du territoire et de valorisation de nos paysages.
- l’insuffisance des aides publiques à développer, autour du lait et de l’industrie des produits laitiers, des labels de qualité et de terroir, des filières à haute valeur ajoutée, des circuits courts
- l’insuffisance encore de la reconnaissance publique de la contribution des herbagers, quand ils ne font pas de l’élevage en batterie, à la préservation de la biodiversité, à la protection des sols, au ralentissement du ruissellement des eaux dans les périodes de crue, à la préservation des zones humides, au développement de la filière bois pour le chauffage et la reconstitution des sols.

Si ces tendances lourdes se prolongent encore une ou deux décennies on peut craindre pour demain un bocage qui se réduirait aux vallées de nos rivières, à une étroite lisière des forêts du Nouvion et de Saint-Michel ; et une filière bois, dans le nord de l’Aisne, définitivement sinistrée. Bien entendu les subventions qui encouragent la plantation de haies sur le territoire sont un palliatif partiel, mais il ne sera jamais à la hauteur des dizaines d’hectares de prairie humides et de haies bocagères livrées aux labours chaque année depuis des décennies.

Pour relever tous ces défis, la vie politique de nos pays a besoin d’hommes et de femmes pour qui l’écologie ne soit pas une matière à option, claironnée le temps d’une campagne électorale, et vite rangée au rang des accessoires.
C’est pourquoi nous soutenons la candidature d’Eva Joly dont l’engagement, aux côtés de José Bové, est totale :
- pour une agriculture paysanne de qualité respectueuse de la biodiversité et protectrice des ressources si nécessaires à la vie que sont l’eau, les forêts, les zones humides, les zones de bocage, les insectes pollinisateurs
- pour des circuits courts à valeur ajoutée entre producteurs et consommateurs, pour l’approvisionnement en bio des cantines scolaires
- pour la promotion de labels de qualité et d’origine contrôlée assortis de cahier des charges transparents, pour une alimentation saine et une vigilance sans relâche sur les lobbys des grands groupes chimiques et semenciers (OGM, brevetage du vivant) dont les profits se font trop souvent au détriment de la santé publique.
- pour des pratiques d’élevage respectant l’animal et le consommateur et une reconversion progressive au bio des techniques culturales.
-pour une régulation internationale des prix agricoles garantissant une juste rémunération aux producteurs, pour une régulation du foncier agricole et une aide aux initiatives associatives favorisant l’installation de jeunes agriculteurs
- pour une équité et une solidarité territoriale garantes d’un accès aux services publics et de proximité dans les zones rurales délaissées.

Liste des 24 signataires, merci à eux :
 

Aurélien Wéry, des jeunes écologistes
Bertrand JEANDEL, EELV
Brigitte FOURNIE-TURQUIN, conseillère municipale à Laon
Christian SYLVESTRE. candidat Europe Ecologie les Verts dans la 3ème circonscription de l’Aisne
Claire JULLION, ardennaise bocagère
Claude HARMELLE, sociologue
Evangelia RALLI, Ribemont
François BRAILLON, paysan retraité
François TURQUIN,
François VATIN
François VEILLERETTE. conseiller régional Picardie
Gabrielle ELIAS, jardinière de Bohéries
Gérard BALITOUT, conseiller municipal délégué, Hirson
Jacques MAHIEUX, musicien rural
Jean-Jacques FIN, maraîcher bio à Laon
Jean-Marc KUPECKI, retraité
Jean-Paul MEURET, historien de la Thiérache, diplômé de l’EHESS
José MEURICE, maire adjoint de Watigny
Marie-Claude MALLEVERGNE
Marie-Françoise VERHOOG, chargée d’études en environnement
Marie-Reine DUFRETEL
Michèle CAHU, conseillère régionale Picardie
Nora AHMED-ALI, conseillère municipale à Saint-Quentin, secrétaire du GAL Nord de l’Aisne d’Europe Ecologie les Verts
Roel VERHOOG

jeudi 12 janvier 2012

L'Europe, poêle à frire ?

© l'âne vert 2012

Non je n’ai pas dit « dessine toi une carte » en me préparant un petit frichti ce matin-là, début janvier.

Ce qui s’est dessiné au fond de ma poêle, et sur mon poële, m’a fait sourire plus que poiler, ou rire à gorge déplorée.

Cette petite Europe, avec son cœur jaune sur une mer noire, et sans étoiles, c’était comme un rêve éveillé, rien de prémédité.

Pour l’attache de ce cœur, pas d’erreur : entre plateaux à Langres et estuaires mosans, Wallonie, Parisis, roses de Picardie, parages du Nord Ouest, les prairies où je m’esbaudis … et m’égare à siffler les trains, goût des lointains. Une toponymie à l’écoute s’il pleut que je chéris et où l’homme n’est pas en sucre, fut-il candi. Et moins encore la femme qui, en ces pays cy sait tisser et festonner la dentelle des rêves dont les hardes se disent « clicotes ».

L’ai trouvée bien jolie cette petite Europe, en ses clicotes où les bretons jettent des ponts vers ibères et lusitaniens, peuples marins.

Bien facétieuse aussi d’avoir osé amarrer une petite Corse à la côte des basques.

Plutôt « hip – hop », et assez « swing » : voyez ce grand écart d’Italie à Espagnes où elle semble danser-courir-bondir,

S’enfuir ? Ah, ça se pourrait bien, avec ces bruits à l’est où hongre ne rit.

Assez rétrécie, aussi, avec ces Royaumes désunis, l’Irlande fière, l’Hellade notre mère, tous ces naves scandis qui semblent le large avoir pris.

Hamlet sans royaume, fallait le faire, la poêle à frire, pour un cartographe, c’est peut-être un peu trop militaire.

Arrière ! fond d’idées noires ! répudier le genre masculin qui de la poêle au poêle : « Drap mortuaire, grande pièce d’étoffe noire ou blanche dont on couvre le cercueil pendant les cérémonies funèbres. », dit le wiktionnaire.

Pourtant cela peut advenir, la vie est maladie mortelle, et les agences de rotation,  les rêves sombres de la peur, la nostalgie des gabelous et des gros bénéfices du change pour que rien ne change, la paix armée des tranchées mal refermées, y travaillent.

Si cela advenait, me ferais cartographe de toutes les contrebandes car, sur les cartes, les fleuves savent remonter à leurs sources. La « poêle à frire », c’est aussi un outil : pour ceux qui creusent et sculptent des trésors ? Pour les démineurs des lignes de fronts ?

Claude Harmelle - 11 janvier 2012

mardi 10 janvier 2012

Vers un printemps des libertés et de la solidarité ? Manifestation de soutien à Xavier Mathieu à Amiens le 4 janvier lors de son procès pour insoumission aux prélèvements et au fichage ADN

"Le combat des contis, c'est une histoire d'amour, et elle dure toujours...Si je suis encore debout c'est grâce à tout ça... c'est l'amour des autres qui nous aide à tenir" nous a dit Xavier Mathieu mercredi dernier (voyez le troisième film). Cette manifestation prolongeait ce moment de grâce des luttes ouvrières qu'a été la lutte des Contis (Continental, Clairoix près de Compiègne). Ah certes il n’ont pas gagné le sauvetage de leur boîte et de leur emploi, l’actionnariat rapace a eu le dernier mot, mais il a du payer le prix fort. 
 
Ce qui fait les Contis si grands c’est, comme l’ont rappelé les intervenants à Amiens, qu’ils ont su construire une unité exemplaire, et internationaliser leur lutte et leur solidarité à l’échelle européenne. Quand les partis politiques, les centrales syndicales, peinent à construire des contre-pouvoirs de dimension européenne, un millier d’ouvriers picards ont réussi à Hanovre une unité d’action avec des milliers de travailleurs allemands et lorrains. Ils sont entrés dans l’histoire les Contis, cela ne faisait aucun doute pour tous ceux qui étaient à Amiens mercredi dernier. C’est ce qui explique aussi, le talent de Xavier Mathieu n’y comptant pas pour rien, le respect de la diversité des intervenants dont beaucoup ailleurs se déchirent. Personne n’a été sifflé ce qui est très rare dans un concert où la gauche la plus sage et la plus extrême se rencontrent.

Une chose très émouvante pour moi qui ai l’âge des luttes de la guerre d’Algérie, de 68, des Lip et du Larzac, c’était la présence d’un viticulteur venu de loin et représentant la Confédération Paysanne. Et en plus il nous a fait chanter !

Un mot aussi sur le contexte de la manifestation. Ce 4 janvier était jugé en appel Xavier Mathieu pour insoumission au prélèvement et au fichage de son ADN. Le parquet avait fait appel après une relaxe prononcée par un tribunal à Compiègne. Cela en dit long sur l’acharnement d’un pouvoir qui porte aussi la responsabilité d’avoir inscrit ce fichage ADN, dans une loi inique, pour l’ensemble des  délits : y compris ceux qui ressortissent des luttes syndicales, politiques et associatives. Des faucheurs volontaires anti OGM sont aussi venus nous le rappeler à Amiens. Pour le pouvoir sarkozyste même l’Abbé Pierre ressortirait aujourd’hui d’un fichage ADN puisque ceux qui luttent pour la défense des sans papiers ou le droit au logement (ce ne sont que des exemples), toutes les populations et minorités que ce pouvoir stigmatise à longueur de J.T., sont exposés à ce fichage.

Film 1 : reportage sur la manifestation


Film 2 : le discours intégral de Xavier Mathieu



Film 3 : Eva Joly et Xavier Mathieu

mardi 3 mai 2011

Fête du 1er mai 2011 au Familistère Godin de Guise : deux moments d'éloquence sur l'obscénité du temps présent... et un moment de grâce

La Boétie et Michel Onfray étaient au programme de l'éloquence de Jean-Pierre Balligand pour un appel à l'insoumission qui résonnait comme un défi à l'obscénité de l'époque. Les comédiens de la Compagnie "Ici même" ont du se réjouir que cet appel vibrant n'ait pas été prononcé devant le public nombreux des festivités de l'après-midi mais devant le public plus restreint de l'inauguration, à une heure où les notables, qui savent "ce que parler veut dire" , sont plus nombreux dans l'assistance que les simples citoyens. En effet leur théâtre de l'invisible qui colle avec tant de pertinence aux oppressions du moment aurait pu les exposer à des malentendus cognitifs. Personnellement, par exemple, j'ai été un moment tenté, hypnotisé que j'étais par le réalisme de leurs arguments,  de taguer la maison modèle dont ils vantaient les mérites et été aussi quelque peu surpris et indigné de la curiosité presque polie avec laquelle le public semblait accueillir leur éloge d'un monde "enfin sans domicile fixe" et voué à un habitat aussi "innovant" qu'étriqué (5 m2 au sol pour un "quatre pièces" pour célibataire nomade !)

Devant les hautes façades du pavillon central du Familistère, une danseuse de la Compagnie Retouramont (direction Fabrice Guillot),dont j'aurais aimé vous dire le nom (introuvable sur les sites du Familistère et de la Cie) tisse les fils de nos rêves d'utopie avec une grâce et une légéreté qui défie les lois de nos pesanteurs :


Si j'en trouve le temps je mettrai un petit film plus développé sur le travail remarquable de la Compagnie "Ici même" lors de ce premier mai 2011.
Pour en savoir plus sur ces deux Compagnies :
http://www.icimeme.info/

http://www.retouramont.com/

mercredi 6 avril 2011

La version pour sourds et mal entendants du discours de Nicolas Sarkozy à Nesle le 5 avril 2011. Ou il est question du canal Seine-Nord et du canal de la Sambre à l'Oise


Comme beaucoup d’entre vous, j’imagine, j’incline à la voie d’eau. On la dit avec raison plus écologique et respectueuse de l’environnement que les norias de camions sur l’autoroute du nord et je sais qu’une grande barge, comme il en circule sur la Seine ou les canaux à grand gabarit de la Belgique et des Pays-Bas, peut remplacer des centaines de camions. J’ai donc plutôt une sympathie spontanée pour le projet Seine-Nord qui vise à relier les réseaux à grand gabarit du bassin parisien et du sud de la Picardie(Oise aval, Seine) et ceux de l’Europe du Nord. Dans le même temps je me souviens que l’eau est rare dans la zone de partage des eaux, en Santerre et Vermandois, entre le bassin versant de la Somme et celui de l’Escaut. C’est une difficulté que les ingénieurs, au cours des siècles précédents, ont eu bien du mal à surmonter. Pour le canal de Saint-Quentin d’abord où ils ont du aller chercher l’eau du Noirrieu et de l’Oise à Vadencourt (Aisne), par une rigole souterraine de plusieurs dizaines de kilomètres. Ensuite pour le canal du Nord pour lequel il a fallu détourner une partie de l’eau de la Somme. Je me souviens aussi qu’un canal à grand gabarit, projeté au XIXème siècle entre Bordeaux et Sète (sur le modèle de Suez ou Panama), fut abandonné parce que les ingénieurs finirent par calculer que cette voie d’eau épuiserait la ressource en eau des bassins versants affluents. 

Donc j’aurais aimé que le projet Seine-Nord soit abondé par des études sérieuses et un débat contradictoire et citoyen sur ces questions de la ressource en eau qui impactera surtout la région Picardie alors même que c’est sur ce territoire que les retombées économiques prévisibles seront les plus faibles. Force est de constater que peu d’informations sont disponibles sur ce sujet et qu’un débat serein sur la question ne semble pas vraiment souhaité par les acteurs de ce dossier.

Ensuite il m’a toujours semblé que le financement d’un tel projet devait être proportionné à l’impact économique attendu. La voie d’eau est un mode de transport qui supporte mal les ruptures et transferts de charge, il est donc fort probable que les retombées économiques seront surtout à Dunkerque, Anvers et Rotterdam au Nord (de façon plus douteuse en Rhénanie) et au Sud à Gennevilliers (port de Paris), Conflans-Sainte-Honorine, Rouen et Le Havre. Les retombées en terme d’emploi qu’on nous fait miroiter en Picardie risquent fort de se révéler aussi illusoires que celles du feu de paille que fut le projet de « Port sec » à Couvron près de Laon (port « très sec » puisque n’existait à proximité ni voie d’eau ni voie ferrée électrifiée). La Picardie peut sans doute espérer la création d’une ou deux plateformes intermodales à proximité de ce canal, le transfert sur voie d’eau d’une partie de ses exportations de blé et des produits de ses industries agro-alimentaires vers les grands ports du sud ou du nord ; sans doute aussi le transfert d’une partie des produits de carrières et de sablières (et sans doute leur multiplication) au sud de l’Oise. Quelques dizaines de milliers de containers à destination de la région ou de la Champagne transiteront-ils par ces plateformes ? Ce n’est pas impossible, mais sans doute au prix d’une saturation en gros cubes logistiques (déjà bien avancée) de la basse vallée de l’Oise.

Ce contexte inclinait à espérer que la région Picarde, plutôt que de participer au financement d’une telle infrastructure, serait fondée à réclamer des études d’impact environnementales sérieuses et, si la chose s’avérait faisable, …des compensations économiques importantes. Par exemple une remise à niveau, par l’Etat, des infrastructures en déshérence de l’est de la région (canal de la Sambre à l’Oise fermé depuis plus de cinq ans par défaut d’entretien des ouvrages d’art par VNF, Nationale 2 (l’ancienne Paris-Bruxelles) qui dans certains de ses tronçons n’est même plus au niveau d’une médiocre départementale, ligne ferroviaire Paris-Maubeuge par Saint-Quentin désormais fermée au trafic voyageur au delà de Maubeuge vers la Wallonie, et où les dessertes restantes sont de plus en plus précaires et menacées (la desserte, par exemple du musée Matisse au Cateau).

Le discours du Président de la République hier à Nesle, et les documents produits à cette occasion, mettent en évidence qu’on est à des années lumières de cette perspective ! Loin d’obtenir des compensations la région picarde s’engage sur ce projet à hauteur de 80 millions d’Euros (j’ignore à quoi se sont engagés les départements de la Somme et de l’Oise) pour le bénéfice bien étroit d’un strapontin à une association public-privé (on ne sait pas encore qui sera choisi des groupes Bouygues ou Vinci) où, comme il est d’usage, on peut pronostiquer une privatisation des bénéfices et une régionalisation-étatisation des pertes. D’autant que ces deux opérateurs étant actifs dans le BTP ils vont être « juges et parties » pour l’exécution des travaux et ce serait miracle qu’une telle conjoncture produise une modération des coûts.

Je note enfin que Monsieur Borloo et Madame Kosciusko-Morizet ont totalement négligé de nous donner, hier, des nouvelles du calendrier de travaux résultant des préconisations du rapport Verdeau commandité il y a deux ans par leur ministère et resté sans suite apparente malgré ses conclusions favorables à la réouverture du canal de la Sambre à l’Oise. Le Président Gewerc qui m’avait dit il y 18 mois, alors que je faisais signer avec un certain succès des pétitions pour le canal de l’Oise et de la Sambre, dans un de ses meetings à Saint-Quentin : « j’ai dit dans le bureau du Ministre que  nous ne débloquerions pas d’argent pour Seine-Nord si l’Etat ne faisait pas son devoir pour le canal de la Sambre à l’Oise », semblait avoir oublié cette promesse. A-t-il obtenu des garanties sur ce point avant de faire voter les crédits pour Seine-Nord ? Si c’est non je dois bien convenir qu’il a menti , et si c’est oui, pourquoi n’en parle-t-il pas publiquement ?

Pour conclure je remarque que le Président de la République n’a pas craint hier d’abuser devant son auditoire d’une rhétorique usée jusqu’à la corde: « vous êtes, a-t-il dit en substance, au cœur de l’Europe, au carrefour prometteur d’un formidable rail entre l’Europe du Nord et l’Europe du Sud ». Lecteur attentif, depuis des années, des travaux des géographes-aménageurs j’ai remarqué que c’est un argument qui a été tellement survendu à des milliers de maires et de Présidents de collectivités par les plus rentables des bureaux d’étude (ça ne coûtait pas cher  à produire) qu’il est aujourd’hui assez largement démonétisé et que les élus prêts à payer au prix forts de tels argumentaires se font bien rares. Exception faite des nostalgiques des discours du maire de Champignac et d’Achile Talon. Dans le registre de la BD c’est une rhétorique que, personnellement, je ne boude pas. Mais les politiques avisés savent, comme le disait Bonaparte, qu’on peut tout faire avec une métaphore, sauf s’asseoir dessus ! (Que ne s’en est-il souvenu plus tard !)

Vous pouvez aussi, pour plus d'information, lire ou relire mes textes précédents sur le canal de la Sambre à l'Oise (en cliquant sur "canal" dans le pavé de mots clés à droite en haut de cette page). L'association Canal Set, dont j'ai donné les coordonnées dans un de ces billets, milite activement en Thiérache et dans le bassin de la Sambre, sur ces questions.

dimanche 13 mars 2011

Printemps des poètes 2011 à Guise le 12 mars. Manuel Caré vous conte, à dos d'éléphant, un rhinocéros et un singe capucin

Je dois confesser qu'en écoutant Manuel évoquer sa rencontre avec un rhinocéros népalais, hier après midi à Guise, dans le cadre du Printemps des Poètes 2011, je me suis demandé s'il n'avait pas fumé quelques feuilles de ce chanvre dont on dit qu'il se fait commerce à Katmandou. Les poèmes qu'il nous a lus sont en effet tirés d'un livre de poésie "Loin de Katmandou", qu'il a publié l'an passé, retour du Népal. Manuel, je l'espère, me le pardonnera, ces soupçons étaient infondés et tenaient à mes lacunes en matière de zoologie. J'étais persuadé, pour des raisons de cancritude avérée, que le rhinocéros était un animal purement africain et je fus bien surpris de cette rencontre poétique avec un rhinocéros népalais. Un petit voyage sur Wikipédia m'a vite mis le nez sur l'étendue mon ignorance. Non seulement un cousin du rhinocéros africain gambade en Inde et au Népal mais de surcroît il est moins menacé que ses cousins africains. Par chance il semble doté d"une seule corne au demeurant moins volumineuses que celles du rhinocéros blanc d'Afrique. Ce qui lui vaut de moins attirer la convoitise des braconniers qui sont au service des vieux chinois libidineux (principale clientèle de la poudre de corne de rhino comme on sait).

Cette méprise est d'autant plus ridicule que mes lecteurs se souviendront peut-être que j'ai rencontré un rhinocéros à Vervins au printemps de l'année passée (voir mon billet "le rhino c'est rosse"). Personne donc n'aurait du être mieux averti que moi de l'aptitude au voyage de cette espèce animale. J'en profite pour remercier le lecteur qui m'a signalé récemment que le rhinocéros de Vervins pâture désormais au centre du grand rond-point sud de cette bonne ville. Rappelez vous que c'était une suggestion de l'âne vert. Entre herbivores nous avons l'oeil et parfois bon conseil sur les pâturages qui peuvent convenir à nos congénères.

Mais assez parlé, écoutez cette rencontre avec un singe-pèlerin et quelques mammifères omnivores dont Manuel Caré tire si belle sagesse et plaisir des mots.
Pour ceux qui rechercheraient le livre de Manuel Caré j'indique une piste pour le trouver : le blog de "l'entente du gué de l'Oise" qui a pris l'initiative de cette rencontre poétique :
http://kesskinne.over-blog.com

lundi 7 mars 2011

Discours de José Bové à Doue, Seine-et-Marne, le 5 mars 2011, à la manifestation contre l'exploration des gaz et pétroles de schiste par fracturation hydraulique. Collectif Carmen

Manifestation joyeuse et combattive à Doue le samedi 5 mars, au lieu même où la société Toreador veut procéder en avril à un premier forage d'exploration par fracturation hydraulique. Le collectif Carmen, né à Château-Thierry le 8 février, au cœur d'un vaste périmètre d'exploration accordé par JL Borloo sur les territoires de l'Aisne et de la Seine-et-Marne (avec des ambitions affichées d'extension à la Marne, à  l'Oise et à une bonne partie du bassin parisien (bassin versant de la Seine et de l'Oise), était présent. Malgré les barrages dissuasifs établis par la gendarmerie tout autour de Doue, nous étions très nombreux, sans doute plus de 2000 personnes, Eva Joly en était ainsi que beaucoup d'élus de Seine-et-Marne et du Sud de l'Aisne. Des membres du collectif sud (Drôme, Ardèche, Aveyron, Lot..) étaient présents en nombre. J'ai filmé pour vous le discours de José Bové, je mettrai bientôt en ligne un reportage plus complet, ce n'est qu'un début... José Bové parle :

lundi 14 février 2011

Collectif Carmen contre Toreador, gaz et pétrole de schiste : un collectif citoyen est né le 8 Février à Château Thierry



Vous pouvez librement intégrer ce ciné-tract et les autres films que j'ai mis sur YouTube en y ajoutant des liens de documentation ou d'info sur les prochains rendez-vous.

Tous les films sur la réunion de Château-Thierry sont disponibles sur ce blog ou sur YouTube :
1- Introduction par Dominique Jourdain (le film est intégré au reportage précédent, ou cliquez ici)

2 - Exposé d'Eric Delhaye : cliquez ici

3 - Exposé de François Veillerette : cliquez ici

4 - Le débat : cliquez ici

N'oubliez pas le prochain rendez-vous à Doue (Seine-et-Marne) début mars 

et pour vous tenir au courant de l'actualité: 
http://www.deleaudanslegaz.com

vendredi 11 février 2011

Bientôt le gaz de schistes dans l'eau de vos robinets ? Une coordination de résistance est née cette semaine à Château-Thierry

Tous ceux qui ont vu dans « Gasland », le film, l’image de l’eau du robinet qui s’enflamme dans une maison d’une région des Etats-Unis où les forages de gaz de schistes sont en production à une échelle industrielle ne seront sans doute pas rassurés par l’arrivée en France, et de façon imminente dans le sud de l’Aisne et dans l’Oise, de cette nouvelle technologie d’extraction du gaz et du pétrole, et par l’opacité dont les plus hautes autorités de l’Etat ont entouré ce dossier. 
 Quand l'eau du robinet s'enflamme (Gasland)

Donc la France a découvert  cet hiver que le Ministère de l’Environnement avait signé des autorisations de recherche (qui valent autorisation d’exploitation si bonne fortune) dans plusieurs régions françaises : la bordure sud-est du Massif-Central (du Lot au Larzac), la vallée du Rhône, une bonne partie du nord-est du bassin parisien (soit le bassin versant de la Seine), et que des monceaux de périmètres de recherche (sur des dizaines de milliers de km2) étaient à l’instruction.

La technique de ces surprises citoyennes est bien rodée : affichage minimum des autorisations préfectorales sur les panneaux des mairie, le mois d’août étant recommandé pour les sujets qui peuvent brouiller les autorités avec les lobbyistes des sociétés qui partent à l’assaut de nouveaux eldorados. C’est ce qui a été fait cet été, nous a dit le maire de la commune de Doue (Seine et Marne, à quelques encablures de l’Aisne), où les premiers forages semblent imminents. Quelques élus et journalistes, José Bové et ses amis du Larzac, ont commencé à sonner l’alarme à la fin de l’automne.

Mes longues oreilles ont perçu d’abord faiblement ces petites musiques discordantes et l’annonce d’une réunion sur le sujet à Château-Thierry le 8 février n’est pas tombée dans l’oreille d’un sourd. N’étant ni géologue, ni scientifique j’étais néanmoins curieux d’en savoir plus, je suis allé à cette réunion et, pour votre édification, je l’ai filmée.

Et je n’ai pas été déçu par la qualité de l’information qui a été délivrée à cette occasion. Merci donc à Dominique Jourdain, Eric Delhaye et François Veillerette d’avoir, avec leurs amis, pris cette initiative. L’affluence était d’ailleurs à la hauteur de leur ambition, à tel point qu’une partie des invités n’a pu suivre et participer au débat que dans le froid, derrière les fenêtres (ouvertes car on suffoquait dans la salle) de la salle de réunion.

Je fais juste un petit résumé, après la fenêtre du film, de ce dont il s’agit pour ceux qui n’auront pas le temps ou les moyens (bas débit aidant) de regarder les films (j’en mets un en ligne aujourd’hui, les 3 autres suivront dans les jours qui viennent à un rytme que j'espère quotidien) qui détaillent les enjeux mieux que je ne saurais le faire. Je n'annoncerai pas forcément les 3 films suivants (exposés d'Eric Delhaye et François Veillerette, extrait des débats qui ont suivi) sur le blog. Vous pourrez aller les regarder directement sur YouTube en cliquant sur le lien suivant (la chaîne de l'âne vert) :
Ajouté samedi 12 février : le deuxième (Eric Delhaye) et le troisième film (François Villerette) sont visibles sur la chaîne de l'âne vert :
Ajouté dimanche 13 février : des extraits du débat et la naissance des collectifs "Carmen" (Toréador - c'est le nom de la société pétrolière - prend garde à toi ! )   sont visibles sur la chaîne vidéo de l'âne vert



D’abord la technologie de ces forages : il s’agit d’aller chercher dans des couches très profondes, à plusieurs kilomètres de profondeur, des gaz, huiles et pétroles enfermés dans des roches faiblement poreuses (schistes et argiles disent les géologues). On creuse des puits verticaux, puis des puits horizontaux de quelques centaines de mètre. Pour libérer le gaz ou les huiles il faut fissurer ces roches, le résultat est obtenu par une technique qui consiste à injecter des quantités énormes d’eau à haute pression et d’additifs chimiques. Contrairement aux forages pétroliers ou gaziers « classiques » (qui ne sont pas non plus sans danger quand les Thénardiers sont aux commandes de la technique) où les puits sont distants de plusieurs kilomètres, les forages avec cette technique sont un maillage très serré de puits presque mitoyens car les puits horizontaux ne peuvent drainer que quelques centaines de mètres de longueur et une faible largeur. Cette densité est le premier problème mis en évidence par les études américaines : un saccage des paysages très impressionnant, un champ de bataille qui ressemble aux lignes de front de 14-18 avec son cortège de logistique routière (des norias de poids lourds) et de bassins de décantation pour les eaux usées au devenir imprévisible.

Cette technique a été validée aux Etats-Unis, à peu près sans étude sérieuse d’impact sur l’environnement, à l’époque où le tandem Bush-Cheney, très lié au  lobby et aux intérêts pétroliers étaient aux commandes à  la Maison Blanche. On se souvient du genre d’expertise que cette équipe nous a servi pour justifier la deuxième guerre d’Irak et cela ne rassure pas. Cette technique a été déployée de façon très rapide aux Etats-Unis. L’expertise par les chercheurs, universitaires et écologistes américains (et canadiens) sur le bilan environnemental est donc récente, elle est d’ailleurs à peu près la seule disponible, et le tableau qu’elle dresse ne manque pas d’inquiéter et mériterait que les scientifiques comme les citoyens ne soient pas tenus à l’écart de ces enjeux. D’autant que le démarrage de cette technique en France semble s’opérer dans une ambiance d’affairisme et de concubinage avec le pouvoir en place qui ressemble furieusement à son acte de naissance outre-atlantique (un frère de Balkany est par exemple un des actionnaires important de la société qui a emporté le permis de forage dit de « Château-Thierry. Cette société s’appelle « Toréador », comme pour nous prévenir du destin qu’elle promet à ceux qui seront dans l’arène, elle a d’ailleurs un site qui documente ses techniques et ses ambitions).

 Car il y a à voir contrairement au « circulez y a rien à voir » que distillent les lobbyistes du secteur. En dehors des aspects paysagers déjà évoqués, il apparaît que l’étanchéité de ces forages par rapport aux nappes phréatiques est douteuse, il n’est pas rare que la fracturation provoque des remontées de gaz ou d’eau sous-pression (avec leurs additifs chimiques) dans les couches supérieures (le robinet où l’eau peut s’enflammer est parlant). La moitié des additifs employés n’est pas connu car il relèverait pour une partie des acteurs du secret industriel. Ceux qui sont connus sont pour une large part dangereux pour la santé humaine comme pour l’environnement. L’épuration des quantités considérables d’eau usées n’est pas maîtrisée. C’est donc la ressource en eau qui est menacée par cette technologie et le débat est désormais sur la place publique aux Etats-Unis et au Canada. De grandes agglomérations comme New-York sont actuellement en train de prendre des mesures d’interdiction sur des périmètres étendus pour protéger les nappes qui assurent l’alimentation en eau de leurs citoyens. L'impact négatif sur le climat est aussi à prendre en compte : cette technologie va prolonger la durée de vie des énergies fossiles non renouvelables et retarder la recherche développement sur les énergies non carbonées. Des inquiétudes se font jour aussi sur le réveil possible de bactéries très anciennes enfermées dans ces couches géologiques très profondes.

Voilà à grand traits ce que j’ai retenu des exposés que j’ai entendus mardi à Château-Thierry. Une coordination de lutte pour exiger un débat citoyen s’est esquissée ce jour là. Coordination départementale, régionale, inter-régionale, sans exclusive politique, philosophique, géographique, administrative, c’est un combat sans frontières et le pluralisme des participants à la réunion semblait indiquer que le pari d’un réveil citoyen sur ce dossier est à portée. Le Conseil Régional de Picardie a récemment voté (à l’unanimité ce me semble mais je n’en suis pas sûr) le principe d’une demande de moratoire. Le ministère a suspendu provisoirement les dossiers d’autorisation en cours d’instruction sans annuler les permis déjà accordés. Il n’y aura pas de vrai débat sans une forte mobilisation citoyenne car en dernière instance l’Etat est seul maître d’œuvre, comme propriétaire du sous-sol, sur ces dossiers.  

Si vous voulez en savoir plus vous trouverez des informations plus détaillées sur les sites de Cap21 ou d’Europe Ecologie mais on peut espérer qu’ils seront largement relayés par d’autres sources dans un avenir proche. Un des prochains rendez-vous pourrait être, début mars, à Doue, en Seine-et-Marne, où le démarrage des premiers forages semble imminent. Le site internet de la commune relayera sans doute l’information (son maire était présent mardi) comme les sites déjà cités. Je m’en ferai également l’écho si nécessaire.

jeudi 21 octobre 2010

A Guise, ville du Familistère Godin, manifestation du 19 octobre pour les retraites


Manifestation du 19 octobre, à l'initiative des syndicats de métallos en grève de la ville de Guise (Godin, Majencia) contre la réforme des retraites promue, sans négociation ni concertation, par le gouvernement Sarkozy. La manifestation qui salue au passage Jean-Baptiste André Godin et son utopie, est rejointe par une partie des lycéens et des habitants de la ville. 500 manifestants c'est du jamais vu, de mémoire d'homme (et de femme), dans cette ville de 6000 habitants, depuis 1968. Le reportage photographique est de Michel Mahieux. La bande son, "la grève de l'orchestre" par l'orchestre de Ray Ventura et ses collégiens,  est empruntée à un CD de chansons de l'époque du Front Populaire édité par Frémeaux & associés. Je vous recommande ces deux CD, un régal de bonne humeur pour l'oreille ! Et c'est un éditeur qui fait un travail magnifique.

mardi 11 mai 2010

10 mai 1940 Début de l'offensive allemande, le grand historien Marc Bloch est à Bohain-en-Vermandois, dans l'Aisne

Portrait de Marc Bloch, photo prise sans doute dans les dernières années de sa vie.
(il est fusillé à Lyon le 16 juin 1944 à la veille de la libération, il alors 58 ans)

La Picardie, le département de l'Aisne et la ville de Bohain s'honoreraient* de se souvenir de la grande et belle figure d'un des historiens les plus éminents du siècle passé, Marc Bloch (1886-1944). Au moment du déclenchement de l'offensive allemande, il y a 70 ans, le 10 mai 1940, il est à l'Etat-Major de la 1ère armée française qui, depuis l'automne 39, est "logé" à l'école de filles de Bohain-en-Vermandois.

C'est un engagé volontaire, il n'était pas mobilisable compte tenu de son âge, 53 ans, à la déclaration de guerre. Il a déjà fait toute la guerre de 14-18 dont il est sorti capitaine après avoir été cité 4 fois à l'ordre de l'armée et reçu la Croix de guerre.

Marc Bloch, photo non datée. Le numéro qui figure sur son képi
est celui du régiment d'infanterie où il a combattu en 14-18
Il a été affecté à la direction du service des carburants de l'armée la plus mécanisée du front, celle qui doit entrer en Belgique dès que les troupes allemandes y pénétreront. Curieuse affectation pour un intellectuel qui avait espéré être affecté comme officier de renseignement et de liaison avec l'armée anglaise ! La bureaucratie militaire signe, dans cette affectation, l'aveu des prolégomènes du désastre qui va suivre. Il remplit cependant avec compétence et minutie cette tâche d'organisation logistique si vitale pour une armée mécanisée vouée au mouvement. Son zèle et sa compétence seront cependant peu utiles à cette 1ère armée qui va être très vite prise au piège de l’encerclement dans la poche de Dunkerque d’où Marc Bloch parvient à s’embarquer, in extremis, pour l’Angleterre, pour retour immédiat au front via Cherbourg.

Aux armées comme dans le civil il est un intellectuel républicain passionnément engagé dans son époque « l’histoire – dira-t-il – se nourrit des questions du présent ». A Bohain où il a passé l’essentiel de la « drôle de guerre », il résiste à l’atmosphère émolliente de l’attente et d’une petite société d’Etat-Major où la compétence et la motivation ne surabondent pas, en mettant en jeu les qualités d’observation et d’analyse qu’il a développées dans son métier d’historien : « un historien –dit-il, en parlant de cette période – ne s’ennuie jamais ».

Il tirera de cette expérience, dès l’été 40, un texte qui est sans doute le diagnostic le plus pertinent des causes de la défaite. Sous le titre « L’étrange défaite » le livre ne sera publié qu’à la libération car il ne souhaitait pas le voir édité dans une France occupée. Dans ce livre il ne se contente pas d’analyser les causes militaires du désastre de 40, inadaptation de la stratégie, lenteur d’une bureaucratie militaire imbue de suffisance, incompétence du commandement, il réfléchit aussi et surtout aux faiblesses de la société française qui a produit cette machine de guerre inadaptée. Sur beaucoup de points son diagnostic reste d’ailleurs terriblement d’actualité. Ses développements sur le mode de cooptation et de sélection de nos « élites dirigeantes », sur les faiblesses et les valeurs de notre système éducatif, pourraient encore aujourd’hui inspirer des programmes audacieux de réforme.

Au moment de l’entrée en guerre il est sans doute l’historien médiéviste le plus remarquable de sa génération même si la Sorbonne, où ses origines « israélites » et sa pensée novatrice ne lui font pas que des amis, a tardé à promouvoir ses mérites.  En 1929 il a fondé, avec Lucien Febvre, la revue Les Annales d’histoire économique et sociale. C’est l’acte fondateur d’une école dite « des Annales » qui va renouveler profondément la recherche historique française et l’ouvrir au grand large du monde : l’histoire s’ouvre à l’anthropologie en s’intéressant aux mentalités,  à la sociologie en prenant en compte le jeu des acteurs sociaux,  à l’économie en interrogeant les cycles et ruptures de la vie économique,  à la dynamique spatiale des échanges et des assujettissements… pour dire bref, à une pratique interdisciplinaire de l’histoire. Cette école des Annales va devenir la filiation intellectuelle des historiens les plus remarquables de la génération suivante : Fernand Braudel (qui a beaucoup compté dans ma propre formation), Georges Duby, Jacques Le Goff, Le Roy Ladurie, en seront, parmi beaucoup d’autres. Elle donnera à la recherche historique française un prestige intellectuel de premier plan.

Marc Bloch est aussi une figure remarquable de la résistance au nazisme. En juin, déguisé en civil, il parvient à échapper à la capture et à rejoindre la « zone libre ». En octobre 40, il est déchu de son métier d’enseignant-chercheur par les premières lois antijuives de Vichy. Par exception « pour services exceptionnels rendus à la science » cette déchéance sera par la suite annulée par une mesure d’exception qui concerne une dizaine d’universitaires. Il enseigne alors à Clermont-Ferrand et à Montpellier tout en organisant pour « Combat » les premiers réseaux résistants du Languedoc. Il plonge ensuite dans la clandestinité avec le groupe « Francs tireurs » dans la région lyonnaise. Il est arrêté et torturé par la Gestapo à la prison de Montluc au printemps 44. Il est tiré de la prison pour être fusillé le 16 juin 1944 à quelques semaines de la libération qu’il sait proche. Il a ces mots de réconfort pour un très jeune homme qui fait partie du groupe promis au peloton d’exécution et qui pleure: « ils vont nous fusiller, n’aie pas peur, ils ne nous feront pas mal. Cela ira vite ».  
En épigraphe à « L’étrange défaite » il avait écrit cette citation du Polyeucte :
     « je ne hais point la vie et j’en aime l’image.
      Mais sans attachement qui sente l’esclavage »


* Depuis lors, la ville de Bohain a accepté la mise en place, à l'entrée de l'ancienne école de filles, rue Marcelin Berthelot, un panneau qui rappelle ce séjour de Marc Bloch

Conseils de lectures :
« L’étrange défaite » de Marc Bloch, collection folio-histoire
«L’histoire, la guerre, la résistance » par Marc Bloch (regroupe une bonne partie de ses écrits)
Collection Quarto – Ed Gallimard


En ce jour du 10 mai, et à 70 ans de distance, je pense aussi à mon père qui était, simple soldat, engagé volontaire lui aussi (il avait été réformé en 34 pour constitution fragile), et qui était sur le front près de Longwy, sur la frontière luxembourgeoise, ce jour là.  Il servait dans le 25 ème GRCA, un groupement de reconnaissance mobile assez fortement motorisé (c’était une innovation car la mobilité était alors rare dans l’armée française).

Cette unité devait s’opposer, en entrant au Luxembourg, à l’avance allemande, tandis que le gros des troupes restait à l’abri de la ligne Maginot. L’armée allemande pour protéger la course Est-Ouest de ses divisions blindées vers Sedan, leur opposa des troupes aguerries, nombreuses et lourdement armées et le 25 ème GRCA, unité légère, dut, au bout de trois jours de combat et en essuyant de lourdes pertes, se replier derrière la ligne Maginot.

Ce groupement sera ensuite envoyé sur le front de la Somme, de l’Aisne et de l’Oise et il fut à l’avant garde des combats lors de l’ultime offensive allemande dans le triangle Roye-Chauny-Pont-Sainte-Maxence où il sera décimé en couvrant la retraite du gros des troupes. Les survivants, dont mon père, parviendront à échapper à l’encerclement et à franchir la Loire. Mon père m’a laissé un journal de sa campagne de France, je le publierai peut-être, au fil des jours, sur ce blog.

dimanche 11 avril 2010

La région Picardie innove en élisant un vice-président chargé du temps qu'il fait !

Après la rose de Picardie, la rose des vents, nouvel emblème de la Région Picardie ?

Lecteur de cette chronique sois attentif à la syntaxe. Quand j’ai lu sur le site du Conseil Régional de Picardie que l’un de ses vice-présidents récemment élu (le deuxième) était chargé du climat, mes neurones ont tressailli. J’ai été relire l’énoncé de ses délégations et je n’avais pas rêvé : il était bien écrit : « Eco-développement, virgule, Energie, virgule, Climat » et pas « Eco-développement, Energie-climat » avec un tiret. Si j’avais lu « Energie-climat » je me serais dit, c’est courageux mais finalement dans l’ordre du raisonnable, la région picarde n’accepte pas l’échec des négociations de Copenhague et s’engage dans une réflexion et des actions pour limiter  l’impact de nos consommations d’énergies sur le changement climatique.
 
Mais avec une virgule ce n’est plus le couple Energie-climat qui est en jeu mais c’est le climat lui même qui est la compétence de ce vice-président. Donc pour la première fois sans doute sur la planète, la région picarde innove en nous dotant d’une sorte de Ministère du temps qu’il fait. C’est une INNOVATION ENORME, une telle chose ne s’était pas vue depuis que Philippe le Bel, au XIVème siècle désigna les Templiers comme « faiseurs de la pluie et du beau temps, en son royaume» et conséquemment les fit sur un bûcher périr. 
 
On mesurera l’audace inouïe de cette novation en rappelant que même une autorité scientifique aussi haute que Météo-France n’a jamais franchi ce pas. Chaque fois que des agriculteurs mécontents manifestent devant ses antennes régionales pour se plaindre du temps qu’il fait eu égard à la qualité de leurs récoltes, Météo-France fait prudemment savoir qu’elle a en charge l’observation du phénomène et la prévision du temps qu’il fera mais pas du tout du pouvoir de faire la pluie et le beau temps.
 
Foin donc de cette modestie hypocrite ! Et je me réjouis, comme picard, que nos plus hautes autorités se souviennent enfin que la fierté est un trait essentiel de l’âme picarde : « Roi ne suis, ne prince, ne duc, ne comte aussi. Je suis le sire de Coucy ! » proclamaient déjà, en leurs blasons, leurs prédécesseurs.
 
Un des risques de cette audace (mais on  ne fait pas d’omelette sans casser les œufs) est cependant de refermer cette belle question ouverte par Jean-Paul Vaillant dans la revue la Grive : il parlait de l’Ardenne mais c’est un pays si voisin qu’elle est d’actualité aussi en pays picards : « L’Ardenne raturée par les pluies, sabrée par les vents, blessée par les guerres, âpre, triste, douloureuse et vieille… d’où vient que ses habitants l’aiment si farouchement » (cité par André Dhôtel dans « Lointaines Ardennes »). L’observateur attentif que je suis de nos conversations les plus quotidiennes ne peut s’empêcher de se  demander : comment pourronsnous continuer à aimer la Picardie, et notre prochain, si la météorologie, devenue une chose si sérieuse, quasi ministérielle, nous prive de nous plaindre du temps qu’il fait ?
 
Mais comme un bonheur ne vient jamais seul, je note qu’on a eu la sagesse de nous doter d’un vice-président au climat et pas d’un vice-président aux micro-climats. Chacun peut en effet observer qu’en matière météorologique il en est comme du temps des horloges : chacun voit midi à sa porte ! Quand l’herbager de Thiérache souhaite un peu de pluie pour reverdir ses pâtures, la grande culture en Santerre espère beaucoup de soleil pour faire murir son froment. Quand le chasseur de la baie de Somme espère un temps de canards, l’automobiliste picard espère un automne bien sec quand les betteraves –si glissantes par temps humide- prennent la route des sucreries. Et l’estivant qui barbote dans les eaux des côtes du Vimeu comprend rarement les plaintes afférentes à la canicule dans l’arrière pays.
 
Les poseurs de paratonnerres, les tireurs de fusées contre l’orage ou la grêle, les promoteurs de pèlerinages pour tous ceux qui espèrent les faveurs du ciel, les propagateurs de mauvaises nouvelles, les fabricants de PPRI, les marchands de parapluie ou de filtres anti-UV, n’ont donc pas à s’inquiéter pour leurs fonds de commerces : le débat météorologique restera ouvert malgré sa récente promotion au rang de priorité régionale.
 
Je salue le courage de ce nouveau et si jeune vice-président de notre belle région. Et j’espère qu’il saura trouver, dans la mise en œuvre de son programme climatique, le juste équilibre du bien public et de l’intérêt général. Faute de quoi la sanction pourrait être sévère : si le temps qu’il fera ne convient pas au plus grand nombre, les démagogues ne manqueront pas de le désigner comme bouc émissaire des aléas de ses missions. 
 
Une pensée m’est aussi venue en lisant ces nouvelles ; c’est qu’en déléguant cette compétence si innovante à un de ses vice-présidents, le Président Gewerc avait peut-être aussi voulu ouvrir un espace métaphorique. De sa jeunesse quelque peu libertaire il se souvient sans doute d’avoir lu comme moi les bons auteurs – issus pour la plupart de la résistance dans les milieux psychiatriques - du courant de la psychothérapie institutionnelle (Tosquelles, Bonnafé, Jean Oury, Guattari..etc). Ce courant a souvent souligné, que l’urgence climatique, dans les institutions humaines, c’est de « traiter l’ambiance » comme le répète si souvent, avec le sourire qu'on lui connait, Jean Oury. Gageons donc, si mon intuition est fondée, que cette promotion du climat comme nouvelle ambition politique saura mettre un peu de bonne humeur dans les travaux de notre nouvelle assemblée régionale.