vendredi 30 avril 2010

Le chant des abeilles, écoutez un ami apiculteur : Jean-Claude Mittelman. (retour du débat à Saint-Quentin sur le film de Coline Serreau : Solutions locales pour un désordre global )


C'est une trouvaille sur la toile de mon épouse qui aime les artistes qui nous font entendre la musique du monde sur des radios comme arte radio ou silenceradio. Il y a quelques jours elle m'a trouvé sur la toile un petit bijou : un reportage sur un ami de jeunesse devenu apiculteur et réalisé par son fils ; Samuel Mittelman. Si vous cliquez sur la petite abeille ci dessous vous pourrez écouter ce document sonore remarquable. Faites le à un moment où vous avez du temps devant vous car ce n'est pas un court-métrage. Rien ne vous empêche aussi de commencer par en écouter un petit bout. Comme c'est une radio qui ne fait pas dans la réclame elle vous laissera le temps de respirer et de butiner à votre convenance.

J'ai pensé à vous faire partager ce moment en rentrant, hier soir, d'une projection débat à Saint-Quentin autour du documentaire de Coline Serreau : "Solutions locales pour un désordre global". Débat qui était animé par Emmanuel Mousset en présence de personnalités de l'Ecologie Politique picarde.

Je vous ai fait l'éloge, il y a quelques semaines, d'un film qui lui est proche: "Le temps des grâces" de Dominique Marchais. On retrouve dans le film de Coline Serreau une partie des intervenants du "temps des grâces" et notamment le couple Bourguignon si remarquablement attentif à la question de la destruction et de la régénération des sols. Le film de Coline Serreau a disposé de moyens de production importants ce qui lui a permis de développer son sujet notamment en Inde, au Brésil  et en Afrique d'où elle a ramené des témoignages remarquables. Son film m'a beaucoup appris sur la guerre sans merci des grands groupes semenciers pour accaparer et détruire la biodiversité et assujettir la paysannerie mondiale à son économie mortifère. On y voit aussi les résistances qui s'esquissent  et l'inventaire des coopérateurs qui opposent la culture, la conservation et le partage  des variétés anciennes, à cette industrie de mort est très convaincant, comme l'exposé de leurs difficultés et de leurs espoirs. C'est une partie du film qui m'a beaucoup fait penser à mon épouse, inlassable glaneuse et partageuse des graines qu'elle récolte dans notre jardin, de préférence sur les plantes locales et sauvages. Le film est très attentif justement au rôle primordial des femmes; dans les civilisations agraires, dans la gestion de ces semences et avec quelle brutalité elles en sont aujourd'hui dépossédées.
Alors oui allez voir ce film, mais allez voir aussi "Le temps des grâces" qui paradoxalement remplit mieux le programme qu'annonçait le titre du film de Coline Serreau ; "solutions locales..." parce qu'il donne davantage la parole aux agriculteurs qui nous sont les plus proches. Le film de Dominique Marchais a aussi la qualité d'être par certains aspects moins manichéen parce que la dénonciation des coupables (certes fort utile) y est moins présente que la réflexion sur "comment nous en sommes arrivés là" et "que faire".

Un jeune agriculteur de Thiérache qui a lu mon billet sur "le temps des grâces" fait son affaire d'organiser en juin une projection de ce film à Vervins, je vous en donnerai des nouvelles.

mercredi 28 avril 2010

La vie en rose : retrouver Monica Hermosilla chantant à Santiago-de-Chile

Petit miracle de la toile, retrouver Monica Hermosilla, une amie chilienne rencontrée lors de l'épopée du "Tren de la salud", torturée à mort après le coup d'Etat de Pinochet, sauvée in extremis des geôles de la dictature, grâce à l'action conjuguée d'un comité de soutien (où les frères Joxe déployèrent beaucoup d'énergie et la générosité de leur entregent), et des ambassades de France et de Belgique (Monica avait la chance d'être chileno-belge). De retour à Santiago de Chile elle chante, sur cette vidéo filmée en 2004, lors d'une manifestation devant la villa Grimaldi (lieu de torture et d'assassinat sous la dictature) pour réclamer qu'un lieu de mémoire soit créé dans ce lieu en hommage à ceux qui y furent martyrisés et assassinés. Et qu'est-ce qu'elle chante ?  Un cri d'amour, un formidable pied de nez aux bourreaux : "LA VIE en ROSE"... ils ne l'ont pas détruite ! Ecoutez la, c'est une bien belle personne. Comme Alice dont je vous ai parlé il y a peu.

vendredi 23 avril 2010

Dernières nouvelles : la minorité néerlandophone de Thiérache demande son indépendance !

On sait que nos amis néerlandophones sont nombreux, depuis quelques décennies, à se fixer en Thiérache. Dans certains villages ils sont même en passe de devenir majoritaires. C'est une population industrieuse, créative, entreprenante, qui contribue à rajeunir nos villages et ils sont généralement bien accueillis autour de nos églises fortifiées où leur dynamisme est apprécié. C'est pourquoi la récente sortie, devant la presse, du président de l'amicale des néerlandophones de Thiérache, François Pirette, en a surpris plus d'un :


François Pirette en ministre flamand (Pirette Show - 2005)
envoyé par flecky.

Interrogé par la presse régionale Jean-Pierre Balligand a rappelé qu'au temps de Jules César la Picardie était belge. "Nous étions même, si j'en crois ce qu'a écrit Jules César, "les plus braves de tous les peuples de la Gaule". Ces revendications de la minorité néerlandophone, a-t-il ajouté, rendent inévitable le rattachement de la Thiérache - et peut-être même de la Picardie entière - à la Wallonie.

Ne manquez pas de lire aussi le billet précédent où la truculence de l'âne et de la langue picarde ne manqueront pas de vous éclairer sur ces querelles linguistiques !

Que veut dire BRAIRE COMME UN ANE en Picardie ? Souvenir des ânes d'Estrées par le RP Maurice Lelong op

Le RP Maurice Lelong o.p. en Provence dans les années où il publie la "Célébration de l'âne". Ici en compagnie d'Asinella, ânesse ramenée de Sardaigne pour les enfants de son éditeur Robert Morel.
Photo : Odette Ducarre

J'ai déjà raconté, sur ce blog, ma rencontre avec avec le Père Maurice Lelong et donné des extraits de sa "Célébration de l'andouille" où il évoque des souvenirs de son enfance picarde. Dans sa "Célébration de l'âne" il conte également des souvenirs d'Estrées petit village du Vermandois dont il était originaire. Il situe souvent Estrées, ce que ne lui pardonne pas, semble-t-il encore aujourd'hui, une partie de ses compatriotes,..en Thiérache. Et certes, en parcourant l'ancienne voie romaine qui traverse le village, il n'y a pas loin du Vermandois à la Thiérache mais surtout les habitants d'Estrées ne devraient pas trop se formaliser de cette géographie sentimentale qui lui vient surtout de son amour du fromage : "la merveille de Maroilles" disait-il plaisamment...C'est une histoire que je vous conterai un autre jour. Pour l'instant lisez ce qu'il dit des ânes de Joseph Lamy.

L'âne semble presqu'aussi nécessaire qu'un jardin pour commencer poétiquement la vie...la bonne composition de l'âne doit être pour quelque chose dans cette complicité secrète. Quoi qu'il en soit de ce problème émouvant et insoluble des ânes et du cœur de l'homme avant qu'il ne se gâte, les miens étaient moins bien harnachés que ceux qui déambulent derrière le Palais de l'Elysée.



Y eut-il jamais quelque part, en cette vallée de larmes, un enfant assez disgracié pour n'avoir pas eu, parmi les merveilles de ses premiers ans, un âne ?

Je dois reconnaître qu'il n'était pas question  (à Estrées) de monter sur leur dos. On obtenait encore d'un valet compréhensif qu'il vous hissât en croupe, sur une énorme jument quand il la menait à l'abreuvoir que nous appelions : Flot. Mais nous n'imaginions pas que Joseph Lamy pût jamais nous mettre à califourchon sur un de ses ânes.

C'était le seul fermier du village qui utilisât ces bêtes sur des terres lourdes, vouées à l'assolement du blé et des betteraves. Ainsi les années de sécheresse on se lamentait sur la récolte des betteraves qui avaient souffert, mais quand le ciel avait prodigué la pluie d'été néfaste aux céréales, l'on répétait que depuis trente ans le blé n'avait été si misérable, et l'on se gardait bien de se féliciter de l'abondance des betteraves. De la sorte, on était toujours assuré d'avoir un sujet de plaintes contre les éléments, ce qui est bien indispensable à l'équilibre des humeurs dans la rude vie paysanne.

L'homme aux ânes était en marge de la haute société des cultivateurs. Il avait fait son service militaire dans les chasseurs d'Afrique: sept années consécutives sans revoir son clocher! Il avait épousé, sur le tard, une institutrice qui avait délaissé l'Enseignement pour cette ferme miniature exploitée petitement avec trois ânes. Ils étaient attelés en flèche : Martin, l'étalon, en tête comme il convient, suivi des deux ânesses, la plus replète dans les brancards. Les instruments aratoires - charrue, herse, rouleau, charrette étaient proportionnés à ce modeste équipage. Le cavalier démonté cheminait en serre-file, pesamment, et avait fort à faire pour maintenir l'attelage en droite ligne. Martin avait, en effet, une fâcheuse tendance à prendre la position transversale. On aurait cru quand, tout à trac, il avait réussi son coup, qu'il était fier de lui, et c'est alors qu'il poussait un hi-han joyeux, triomphal, qui retentissait à travers tout le village.

 A l'encontre de l'Académie, qui voudrait abusivement limiter son usage à l'infinitif et aux troisièmes personnes du présent de l'indicatif, du futur et du conditionnel, nous conjuguions tous à qui mieux mieux, depuis le lait maternel, le verbe braire sans nous aviser que le mot pourrait s'appliquer à un autre que l'enfant.

J'ai été élevé dans la langue de Joinville : « Quant les enfans aus Sarrasines breoient, elles leur disoient: tai toy, tai toy, tai toy, ou je irai querre le roy Richart qui te tuera.». Hormis l'imparfait, qui était en « in », jusqu'à l'âge de dix-sept ans je disais comme le Sénéchal «querre» pour: chercher, et «braire» pour : pleurer: «Grant pitié estoit d'oïr brere les gens».
 
Le jour mémorable où mon père, ayant coiffé le haut de forme de son mariage - les pauvres gens faisaient cette folie! - que nous ne connaissions que sous le nom de capieu-buse, voulut m'embrasser avant de partir à je ne sais quelle cérémonie, je crus que cette chose sinistre annonçait la fin des temps, et je poussai de telles clameurs que dix ans plus tard on m'en rebattait encore les oreilles.

Donc, pour parler comme à Paris, le braiment de l'âne Martin me remplissait de stupeur et de mélancolie. Je sais qu'il est de mode d'en rire. Ce long cri qui se dévisse comme une lunette marine pour porter plus loin, qui monte du tréfonds des tripes pour s'épanouir, s'étaler, indécent, gâchant le silence définitivement, hors de tout registre ou plutôt mêlant tout, car il y a de l'acclamation. du désespoir, de la vocifération et du lamento funèbre dans cet appel déchirant, passe pour être comique. La voix pathétique de l'âne de Joseph Lamy ne me faisait pas rire : j'en étais transi comme au bord d'un mystère effrayant et sans fond....             .

 Les deux ânesses n'avaient point de personnalité digne de l'attention d'un mémorialiste.

Cédant au travers que je viens de m'employer vertueusement à dénoncer, comme il arrive chez les redresseurs de torts, je dois sans doute prêter aux ânes d'Estrées le caractère taciturne de leur maître dont je ne parviens pas à me ramentevoir - ainsi que nous disions au village depuis le XIIe siècle jusqu'à l'aurore du vingtième, pour : « rappeler à la mémoire» - d'avoir jamais ouï la voix autrement que pour héler, guider, gourmander, encourager ses bêtes. C'était un homme sombre et solitaire, et l'engeance asine participait, dans l'opinion que je m'en étais forgée, de cette sévérité. Voilà pourquoi mes rapports avec les ânes furent d'abord distants et empreints de je ne sais quelle réserve d'ailleurs favorable au sentiment du sacré. A quoi tiennent les choses en ce bas monde! C'est ainsi que le plus humble des serviteurs m'est apparu d'abord dans un nimbe de protection qui le rendait plus inaccessible que les puissants boulonnais dont l'odeur âcre domine les parfums de mon enfance.

 Je devais, plus tard, revenir de ce préjugé mais un éclaircissement me paraît nécessaire sur les mérites comparés de l'âne et du cheval.

Monsieur de Buffon, qui écrivait pour l'éternité, a écrit que « l'âne est d'un naturel aussi sensible, aussi patient, aussi tranquille que le cheval est fier, ardent, impétueux ... ».

Je ne me donnerai pas le ridicule de défendre, contre M. de Buffon, la sensibilité du cheval dont l'auteur de l'Histoire Naturelle a l'air de faire l'apanage de son frère supérieur. Si l'âne est plus sensible que le cheval, il ne le laisse guère transpirer. Mais cette vertu est généralement plus manifeste quand elle est à fleur de peau que lorsqu'elle est au fond du cœur.

Quant à la patience et à la tranquillité, reconnaissons au moins que l'âne ne s'exalte pas. Il faudrait dire qu'il est revenu de beaucoup de choses, et tout particulièrement du mythe de la gloire auquel le cheval de cavalerie sera bientôt, avec ceux qui sont dessus, et notamment ceux qui paradent en tête, dans les revues, sabre au clair, le dernier représentant.

Le cheval tient compte des personnes et ne se prête qu'à celui dont il a éprouvé qu'il pouvait pour le moins le traiter d'égal à égal. Mes expériences sont concluantes à cet égard.

L'âne est pénétré d'un sentiment profond de l'égalité foncière des vivants provisoires. Il sait que tous ceux qui trempent dans une commune condition, s'ils ne sont pas égaux devant la loi, contrairement aux Principes de 89, se retrouvent' en définitive confondus devant la vie. Il souscrirait au chœur des Troyennes, quand Euripide leur fait proclamer : « Nous aimons les croire sages, les puissants de ce monde, nous les mettons au-dessus de nous, ils commandent et nous obéissons... A vivre près d'eux, nous constatons qu'eux non plus ne sont rien.».

Cela s'appelle, sauf erreur de ma part, Sagesse.

Ce terme m'induit à glisser ici un mot de cet objet de dérision : les oreilles de l'âne, les fameuses longues oreilles !

On sait ce qu'une tradition, dont j'avoue que je n'ai pas eu le courage d'étudier les sources, en a fait pour stigmatiser les cancres. Cela doit être une vieille affaire : « Midas, le roi Midas, a des oreilles d'âne », susurraient les roseaux qui devaient parler au nom de l'opinion publique ignoble, bête et lâche. ...

 Mais la croix d'infamie devint un signe de gloire. L'âne dérisoire occupa la toute première place, et l'ombre de ses longues oreilles se découpe sur le fond de la crèche.

 La Sagesse de l'Asie nous conforterait dans la haute idée qu'il faut se donner de cette particularité. Le Bouddha parvenu à l'Illumination et qui porte sur son front le grain des Sages, est représenté avec des oreilles qui pendent jusqu'aux épaules. Au Japon de mon cœur, dont la spiritualité de pauvre s'accorderait à merveille avec celle de l'âne, qui n'y fut guère introduit, le lapin est l'animal intelligent, à cause de ses oreilles. Au pays du Soleil Levant, comme en Chine, chacun voit avec les yeux de l'enfant et de la poésie, c'est-à-dire pour toujours, les longues oreilles du lapin dressées dans le disque parfait de la lune en son plein: elles doivent recueillir le silence éternel des espaces infinis qui effrayait tant cet homme de l'ouest qui pensait trop et s'inquiétait encore de son «moi », cause de tous les troubles.

 Y HAN! On se doute bien, allez, que cela ne va pas faire sérieux, sérieux, d'annoncer un chapitre du Traité de l'Ane - Summa asinina - dans la langue même du sujet, au prix d'une entorse à l'orthographe classique du mot que M. Littré ignore superbement, mais que le Grand Larousse transcrit Hi-Han, onomatopée. S'il ne l'a déjà subodoré, le lecteur de Célébration de l'Ane saura pourquoi l'i grec s'imposait ici.
 
Grâce à son initiale, l'Ane ouvre la marche des mots dans les dictionnaires comme il a coutume de le faire au Sahara en précédant les chameaux en tête de la caravane. On est bien aise d'avoir le Zèbre pour clôturer le défilé. En vérité, l'âne devrait venir à l'avant-dernière place de l'alphabet, à cause de ses oreilles.

Quoi qu'il en soit de cette affaire épineuse autour de laquelle je n'instituerai pas ici de querelle, il est certain que l'âne de mon enfance boréale fut un animal exceptionnel et quasiment exotique.

Je devais m'éprendre de lui longtemps plus tard, en baguenaudant autour de cette mare mare nostrum - ou « flot » selon ma langue maternelle, et dont l'orthographe a été la croix de mon enfance écolière. Avec l'olivier, qu'on célébrera quelque jour comme il le mérite, l'âne possède en effet la Méditeran... la Méditerann ... enfin la Méditerranée.

N'hésitons pas à l'affirmer :  pour connaître l'âne dans l'intimité il faut faire avec lui le tour de la Méditerranée.
  Maurice Lelong, o.p., Célébration de l'âne, Robert Morel Editeur, maquette d'Odette Ducarre

Et puis, en terminant ce billet sur l'âne, comment ne pas évoquer le film si magnifique de Robert Bresson: Au hasard Balthazar, alors, pour mémoire, à regarder, un petit extrait du film, et un autre film où Godard dit ce qu'il en pense.






jean-luc godard à propos de 'au hasard balthasar' de bresson
envoyé par lilalili. - Regardez des web séries et des films.

dimanche 18 avril 2010

Ciel sans nuages. Qu'il vienne et qu'il revienne, le temps des mongoles fières!


Le ciel est par dessus le toit si bleu, si calme
Nulle trace d’avions dans le ciel, repos de l’âme
En déroute, la réaction !
Avachis, quadri bi, réacteurs !
Ahuris, les grands prédateurs,
reu regardent passer les trains :
c’va durer jusque Saint-Glin-Glin ?
Oui, oui, oui, des trains ralentis
et  surtout arrêts garantis,
les sentiers le long des ruisseaux,
et lenteur des doux coches d’eau,
des ânes pour les lourds fardeaux !
Qu’il vienne, qu’il vienne le temps des mongoles fières
Qu’il vienne et qu’il revienne, 

le temps qui nous déprenne.

                                                                                 L'âne vert

vendredi 16 avril 2010

Rire de nos misères ou trembler à l'ombre des pouvoirs occultes ? Le vrai pouvoir des francs-maçons dans l'Aisne


Les francs maçons dans l'Aisne, un pouvoir occulte ? Couverture de l'édition régionale de l'Express

Il y a eu plusieurs âges de la franc-maçonnerie. Au 18ème, quand Mozart en était, dit-on, et j’aime beaucoup « la flûte enchantée » ou sa messe maçonnique, c’était le lieu où se retrouvaient toutes les élites réformatrices de l’époque des lumières qui ne supportaient plus l’absolutisme royal et les dogmes coulés dans le bronze. Ils tendaient vers une spiritualité laïque, pour les moins imaginatifs ça se réduisait à faire tourner les tables. Ils ne bouffaient pas encore du curé : c'aurait été de l’anthropophagie car qu’une bonne partie des loges était alors composée d’évêques et de chanoines (les bonnes sœurs et les curés de campagne pouvaient aller se faire rhabiller).

Sous la restauration et l’Empire (le second) la franc maçonnerie est surtout saint-simonienne : elle investit les bénéfices de l’industrie et du grand commerce dans la religion du progrès technique, des chemins de fer et de l’industrie lourde. Les évêques et les chanoines ont déserté les loges mais dans l’aventure coloniale francs maçons et missionnaires feront  plutôt bon ménage, sauf quand les curés se mettront à prôner le respect de l’indigène voire la décolonisation. Il y aura alors de la fâcherie dans l’air, et plus si affinités.

A la belle époque des années 1900, la franc-maçonnerie vire à l’anticléricalisme militant (tout en singeant les liturgies cléricales). Cette hostilité militante tient pour une part au fait que l’Eglise s’est alors enferrée dans des postures morales, sociales et politiques d’arrière garde mais aussi, chose moins dite, au fait qu’elle est soupçonnée de mollesse sentimentale par une gauche républicaine virile et patriote qui rêve de revanche et supporte mal de voir la gent féminine continuer à aller à vêpres. Les congrégations seront stigmatisées au moment (salutaire) de la séparation de l’Eglise et de l’Etat pour des motifs aussi louches que les jésuites au 18ème : on leur reprochait officiellement leur hostilité au gallicanisme (la main mise de l’Etat sur la sphère religieuse) et officieusement les colons et les commerçants au long cour de la traite esclavagiste, supportaient surtout très mal leur internationalisme et leur défense des sociétés indigènes.

La guerre de 14-18 provoque une pause dans ces hostilités intérieures : le zèle que met l’Eglise à soutenir le moral des troupes  et à bénir les massacres de masse lui vaut un regain de respect même chez les francs-maçons. L’entre deux guerre ne sera pas une période faste pour la franc-maçonnerie bien qu’elle continue à fournir ou à fédérer une bonne partie des élites républicaines, notamment chez les radicaux.

Pétain n’a pas été réglo avec les frères dont un fort contigent, parlementaire, lui avait voté les pleins pouvoirs. Il en fait un de ses boucs émissaires favoris. Le fascisme d’inspiration païenne et nihiliste n’aimait pas les cléricatures fussent-elles laïques, il visait une mobilisation totalitaire des consciences, des énergies des imaginaires. Ils seront persécutés et parfois déportés. En moins grand nombre cependant que les Juifs, les Tziganes, les Slaves et les malades mentaux.

Après guerre ils auront un petit passage à vide mais de Gaulle leur fournira une figure à qui s’opposer : on le soupçonne d’être maurrassien, crypto royaliste, bigot. Et puis il a donné, c’était dans le programme du CNR, le droit de vote aux femmes ! Par décret signé à Alger de surcroît, un vrai dictateur ! Dans ma jeunesse j’ai entendu des directeurs de collèges ou de lycées qui portaient fier à leur boutonnière leur allégeance maçonnique dire, sans rire, que « de Gaulle avait donné le droit de vote aux femmes parce qu’elles votent comme le curé leur dit de voter ».  Ils admiraient aussi la virilité d’un Guy Mollet qui se fit élire sur un programme de paix en Algérie et y envoya le contingent pour des opérations qui – disait-il- n’étaient pas « de guerre ». On avait trouvé un nouveau mot qui était la « pacification » comme aujourd’hui on parle de « techniciens de surface » (les conséquences étaient plus lourdes). Les « frères » aimaient d’autant moins les curés, dans ces années là, qu’on en croisait pas mal au PSU.

Alors aujourd’hui on leur reproche leur clandestinité, une pratique de « boutique obscure », et, franchement elle ne me paraît pas plus patente que dans la plupart des groupuscules politiques, syndicaux ou professionnels. Personnellement j’y vois une sorte de groupuscule pour notables où se rencontrent une bonne partie du haut du panier de la classe politique et du monde économique. Ça a la même fonction qu’avait la cour sous Louis XIV, c’est un lieu de socialisation où les participants peuvent vérifier qu’ils se détestent mutuellement tout en s’accordant sur le fait qu’ils ne se feront pas de misères irrémédiables. C’est le lieu où se fixe sans doute une sorte d’ « éthos » de classe (comme disait Bourdieu), à ce titre c’est un espace de pacification, une fois passée l’épreuve des joutes électorales. Ne pas en être, quand on a quelque ambition locale, peut à l'occasion exposer à quelques désagréments : mon ami Daniel Dormion, ancien maire de Bohain et promoteur de la Maison Matisse, en a fait, à ses dépens,la bien cruelle expérience, par exemple.

Dans le pire des cas c’est le lieu des petits arrangements souterrains où se forge le respect mutuel et les frontières des territoires de pouvoir (mais ont-ils vraiment besoin de ça pour exister ?), dans nos provinces, entre les petits patrons du BTP, de la grande distribution, de l'agro-alimentaire, de nos autorités consulaires, et la classe politique. A ce niveau régional le grand patronat des industries d’armement, des médias et de la finance, ne sont pas dans le coup, leurs intérêts se jouent à un autre niveau. La franc-maçonnerie s’identifie donc surtout, ce me semble, à la République provinciale des notables.

On m’a proposé un temps d’en être : j’ai dit non, merci, ce n’est pas pour moi. C’était sans animosité et je ne le regrette pas, bien que ça aurait peut-être – allez savoir – fait avancer la cause de mon élection à l’Académie française ! Il vaut toujours mieux rire de nos misères que de faire pleurer son public. Et je vous souhaite d’en rire plutôt que de trembler à l’ombre des pouvoirs occultes.

jeudi 15 avril 2010

Armand et Alice Fraysse "Justes parmi les Nations" et fondateurs de l'Auberge de Jeunesse de Saint-Antonin Noble-Val

 Alice Fraysse et son mari Armand, des "Justes parmi les Nations" - Saint-Antonin Noble-Val années 30 ou 40
 
Relisant, il y a peu, des notes prises il y a 30 ans dans le dossier des « affaires juives » de la commune de Saint-Antonin  Noble-Val (Tarn-et-Garonne), en vue d’un travail d’historien, l’envie m’est venue de vous parler d’une femme exceptionnelle qui fut mon amie durant les 15 dernières années de sa vie : Alice Fraysse. Grâce au travail de mémoire d’un enfant qu’elle avait sauvé de la déportation (elle en protégea d’autres dans l’Auberge de Jeunesse qu’elle avait fondée), Jacques Bronstein, devenu médecin à Jérusalem, elle intégra en l’an 2000, à titre posthume, la communauté, si précieuse pour l’histoire, des « Justes parmi les Nations » en compagnie d’Armand son mari. Je n’ai pas connu Armand car j’ai connu Alice à un moment où il reposait déjà au petit cimetière protestant de Saint-Antonin.

Alice fut au temps de l’occupation une résistante au quotidien, c’est un courage qui lui venait de loin puisqu’elle appartenait, par tradition familiale, à ce petit noyau résiliant de la communauté protestante de Saint-Antonin. Cette ville fut au XVIème siècle une place forte protestante qu’assiégea Louis XIII, plus tard la communauté fut décimée, contrainte à l’exil ou à la conversion forcée, au temps de la révocation de l’Edit de Nantes.  Jacques Bronstein, évoquant en 2000 les souvenirs de son arrivée à Saint-Antonin , écrivait : « J’ai un souvenir très précis de mon arrivée chez Alice et Armand. C’était .. en 1943, j’avais six ans. Il faisait très froid. Me mettant en pyjama, Tantine me dit : « je t’ai mis moine dans ton lit ». Je fus effrayé et, pleurant à chaudes larmes, je lui dis que je ne voulais pas dormir avec un moine. Avec un grand sourire elle m’expliqua qu’il s’agissait d’un appareil de chauffage à base de braises qu’on introduisait dans le lit pour le réchauffer. A moitié rassuré, j’acceptai de me coucher dans un lit délicieusement chaud et accueillant. Tantine s’assit sur le bord du lit, me caressa doucement les cheveux et me dit, avec une douceur angélique, que je n’avais rien à craindre, qu’elle ferait tout pour  que je me sente en famille chez eux, que je ne devais rien raconter aux enfants avec lesquels j’allais être en contact. Je devais dire qu’ils étaient mes oncle et tante et c’est tout. Elle se leva, alla chercher un livre qu’elle me montra et me dit : «  tu vois ce livre s’appelle la Bible, il raconte l’histoire de ton peuple, le peuple juif. Pour nous aussi, Protestants, ce livre est saint, car il raconte aussi l’histoire de Jésus. Tu dois être fier d’être juif, et nous, nous aimons les Juifs parce que Jésus était juif. »

En 1936, après la victoire du Front Populaire, Alice avajt écrit à Léon Blum pour lui proposer la reconversion de son moulin de Saleth, où Armand draguait le sable dans le lit de l’Aveyron, en Auberge de Jeunesse. Chose dite, chose faite. Des milliers de jeunes, y compris des allemands, affluèrent à Saint-Antonin jusqu’à la déclaration de guerre. Pendant l’occupation ce sont les enfants déshérités de Montauban qui viennent s’y refaire une santé et, chaque fois qu’il y rafle dans la nombreuse communautés de réfugiés juifs de Saint-Antonin, les familles viennent confier les enfants à « Tantine » avant de s’enfuir, s’ils le peuvent, vers les causses et les hameaux environnants.

C’est une activité qui n’est pas sans risques, une partie des notables collaborent activement à la « gestion de la question juive » . Le secrétaire de mairie, par exemple, qui note le 26 octobre 1942, en marge d’une liste de recensement des Juifs réfugiés à Saint-Antonin destinée au Préfet : « présumés juifs ne s’étant pas présentés au recensement : famille Kahan (maison Palaprat), et Sternher Jacques (Tour du Pré). On ne sait pas s’ils furent arrêtés après cette dénonciation, on ne trouve pas trace d’eux dans les recensements postérieurs. Le 3 juillet 43 le juge de paix rappelle au Maire de la commune ses devoirs : apposer la mention « juif » sur les cartes d’identité et d’alimentation, et, pour les personnes non astreintes à la carte d’identité (les enfants), « le rapport de moralité devra indiquer s’il est « juif » ou s’il y a lieu de procéder à des vérifications à cet égard».

  Première rafle en juin 43 à l’initiative de la police allemande : 10 personnes juives d’origine russe, ukrainienne, polonaise, allemande, sont arrêtées et déportées au camp de Drancy. Peu après le commandant de ce camp (commissaire de police français) réclame au maire de Saint-Antonin les cartes d’alimentation des personnes internées alors que les maisons ont été pillées et les clefs emmenées par la police allemande. C’est sans doute une ruse pour faire croire à une déportation indolore. Ensuite le préfet diligente un nouveau recensement et le maire signale au Préfet les difficultés de ce recensement (« certains sont encore dans la commune même, à la campagne, d’autres y viennent faire un tour et repartent, le recensement ne pourra être fait que du 15 au 20 (juillet), délai pendant lequel ils doivent venir signer à la mairie. Il ne nous sera pas possible de vous signaler ceux qui auraient quitté irrégulièrement la commune ». En août nouvelle rafle, cette fois on ne parle pas de « police allemande », c’est peut-être la gendarmerie qui est en ligne. Le formalisme bureaucratique faiblit (ou les pièces ont disparu), dix noms sont rayés des listes avec une date « 25-8 » : une majorité de juifs d’origine allemande, autrichienne, hollandaise, mais aussi quelques juifs d’origine polonaise ou lettonne.Ensuite les photocopies des pièces que j’ai sous les yeux sont muettes.

Après guerre l’activité de l’Auberge de Jeunesse reprend avant de devenir colonie de vacances de la ville de Montauban. Quand j’ai connu Alice elle recevait encore des cartes postales du monde entier dont l’adresse était simplement « Tantine, Saint-Antonin » et le facteur savait acheminer à bon port ces correspondances.

J’espère un jour pouvoir vous faire entendre et aimer Alice Fraysse dans la musique même de sa voix : à la fois jouette (comme on dit à Liège) et grave, chantante et exigeante, inoubliable, aimante, celle d’une belle personne.

Si vous passez un jour par Saint-Antonin, dans les gorges de l’Aveyron, arrêtez-vous un instant place du Timplé (le Temple en occitan), sur la droite vous verrez la petite maison où elle vécut et où est apposée une plaque commémorative qui rend hommage à la mémoire d’Alice et d’Armand. Et si vous avez un peu de temps demandez dans la ville Francis Jourdes, son arrière neveu, qui sera heureux de vous parler d’Alice et d’Armand.
Auberge de Jeunesse du moulin de Saleth à Saint-Antonin Noble-Val, fin des années 30
Alice dans les années d'après guerre à Saint-Antonin Noble-Val

A lire aussi sur ce blog (cliquez sur le lien)  :

http://anevert.blogspot.fr/p/claude-harmelle-en-collaboration-avec.html
 




dimanche 11 avril 2010

La région Picardie innove en élisant un vice-président chargé du temps qu'il fait !

Après la rose de Picardie, la rose des vents, nouvel emblème de la Région Picardie ?

Lecteur de cette chronique sois attentif à la syntaxe. Quand j’ai lu sur le site du Conseil Régional de Picardie que l’un de ses vice-présidents récemment élu (le deuxième) était chargé du climat, mes neurones ont tressailli. J’ai été relire l’énoncé de ses délégations et je n’avais pas rêvé : il était bien écrit : « Eco-développement, virgule, Energie, virgule, Climat » et pas « Eco-développement, Energie-climat » avec un tiret. Si j’avais lu « Energie-climat » je me serais dit, c’est courageux mais finalement dans l’ordre du raisonnable, la région picarde n’accepte pas l’échec des négociations de Copenhague et s’engage dans une réflexion et des actions pour limiter  l’impact de nos consommations d’énergies sur le changement climatique.
 
Mais avec une virgule ce n’est plus le couple Energie-climat qui est en jeu mais c’est le climat lui même qui est la compétence de ce vice-président. Donc pour la première fois sans doute sur la planète, la région picarde innove en nous dotant d’une sorte de Ministère du temps qu’il fait. C’est une INNOVATION ENORME, une telle chose ne s’était pas vue depuis que Philippe le Bel, au XIVème siècle désigna les Templiers comme « faiseurs de la pluie et du beau temps, en son royaume» et conséquemment les fit sur un bûcher périr. 
 
On mesurera l’audace inouïe de cette novation en rappelant que même une autorité scientifique aussi haute que Météo-France n’a jamais franchi ce pas. Chaque fois que des agriculteurs mécontents manifestent devant ses antennes régionales pour se plaindre du temps qu’il fait eu égard à la qualité de leurs récoltes, Météo-France fait prudemment savoir qu’elle a en charge l’observation du phénomène et la prévision du temps qu’il fera mais pas du tout du pouvoir de faire la pluie et le beau temps.
 
Foin donc de cette modestie hypocrite ! Et je me réjouis, comme picard, que nos plus hautes autorités se souviennent enfin que la fierté est un trait essentiel de l’âme picarde : « Roi ne suis, ne prince, ne duc, ne comte aussi. Je suis le sire de Coucy ! » proclamaient déjà, en leurs blasons, leurs prédécesseurs.
 
Un des risques de cette audace (mais on  ne fait pas d’omelette sans casser les œufs) est cependant de refermer cette belle question ouverte par Jean-Paul Vaillant dans la revue la Grive : il parlait de l’Ardenne mais c’est un pays si voisin qu’elle est d’actualité aussi en pays picards : « L’Ardenne raturée par les pluies, sabrée par les vents, blessée par les guerres, âpre, triste, douloureuse et vieille… d’où vient que ses habitants l’aiment si farouchement » (cité par André Dhôtel dans « Lointaines Ardennes »). L’observateur attentif que je suis de nos conversations les plus quotidiennes ne peut s’empêcher de se  demander : comment pourronsnous continuer à aimer la Picardie, et notre prochain, si la météorologie, devenue une chose si sérieuse, quasi ministérielle, nous prive de nous plaindre du temps qu’il fait ?
 
Mais comme un bonheur ne vient jamais seul, je note qu’on a eu la sagesse de nous doter d’un vice-président au climat et pas d’un vice-président aux micro-climats. Chacun peut en effet observer qu’en matière météorologique il en est comme du temps des horloges : chacun voit midi à sa porte ! Quand l’herbager de Thiérache souhaite un peu de pluie pour reverdir ses pâtures, la grande culture en Santerre espère beaucoup de soleil pour faire murir son froment. Quand le chasseur de la baie de Somme espère un temps de canards, l’automobiliste picard espère un automne bien sec quand les betteraves –si glissantes par temps humide- prennent la route des sucreries. Et l’estivant qui barbote dans les eaux des côtes du Vimeu comprend rarement les plaintes afférentes à la canicule dans l’arrière pays.
 
Les poseurs de paratonnerres, les tireurs de fusées contre l’orage ou la grêle, les promoteurs de pèlerinages pour tous ceux qui espèrent les faveurs du ciel, les propagateurs de mauvaises nouvelles, les fabricants de PPRI, les marchands de parapluie ou de filtres anti-UV, n’ont donc pas à s’inquiéter pour leurs fonds de commerces : le débat météorologique restera ouvert malgré sa récente promotion au rang de priorité régionale.
 
Je salue le courage de ce nouveau et si jeune vice-président de notre belle région. Et j’espère qu’il saura trouver, dans la mise en œuvre de son programme climatique, le juste équilibre du bien public et de l’intérêt général. Faute de quoi la sanction pourrait être sévère : si le temps qu’il fera ne convient pas au plus grand nombre, les démagogues ne manqueront pas de le désigner comme bouc émissaire des aléas de ses missions. 
 
Une pensée m’est aussi venue en lisant ces nouvelles ; c’est qu’en déléguant cette compétence si innovante à un de ses vice-présidents, le Président Gewerc avait peut-être aussi voulu ouvrir un espace métaphorique. De sa jeunesse quelque peu libertaire il se souvient sans doute d’avoir lu comme moi les bons auteurs – issus pour la plupart de la résistance dans les milieux psychiatriques - du courant de la psychothérapie institutionnelle (Tosquelles, Bonnafé, Jean Oury, Guattari..etc). Ce courant a souvent souligné, que l’urgence climatique, dans les institutions humaines, c’est de « traiter l’ambiance » comme le répète si souvent, avec le sourire qu'on lui connait, Jean Oury. Gageons donc, si mon intuition est fondée, que cette promotion du climat comme nouvelle ambition politique saura mettre un peu de bonne humeur dans les travaux de notre nouvelle assemblée régionale.

jeudi 8 avril 2010

1400 maisons rasées en Vendée, le gouvernement annoncerait prochainement un plan pour raser 20% du bâti parisien. L'Elysée devra-t'il déménager ?

Zone maximale d'expansion des crues à Paris lors de l'inondation de 1910

La Vendée aujourd'hui sous le feu de l'actualité rend prémonitoire notre billet précédent sur le PPRI de la haute vallée de l'Oise. (voir plus bas dans le blog). La carte ci-dessus, pour Paris, met en évidence la zone maximum de la crue de 1910 : c'est le zonage des caves inondées. Les experts notent que l'extension de l'urbanisme souterrain à Paris depuis lors, et son interconnexion étroite (métro, RER, gare et centre commercial de Châtelet-les Halles, parties souterraines du Grand Louvre, Centre Georges Pompidou, aménagements souterrains du Palais de l'Elysée, Hôpital Georges Pompidou, ensemble des sièges sociaux des entreprises audiovisuelles...etc), ont beaucoup accru le risque. D'autant qu'une bonne partie des centres de distribution électrique et téléphonique sont eux aussi enterrés à Paris. Enfin l'urbanisation récente des fronts de Seine dans les 15ème, 12ème, et 13 ème arrondissements a beaucoup accru le volume des populations désormais exposées au risque.
Un plan pour raser l'ensemble de ce bâti sera-t-il promulgué comme il vient d'être fait en Vendée ?  La Flandre française pourrait également être concernée, rappelons qu'à l'époque romaine la mer recouvrait une zone, dans cette région, qui allait de Dunkerque à Saint-Omer.

Paris 1900 : le Centre Georges Pompidou (à l'époque Centre Beaubourg) avant sa rénovation

Paris 1900 : Le Centre Georges Pompidou ou Centre Beaubourg, avant sa rénovation © Ane Vert

Notons qu'avant sa première rénovation, seuls étaient admis au Centre Beaubourg, les chevaux, les cavaliers qui les montaient, et les palefreniers qui leur prodiguaient le picotin et leur lustraient le poil.
Le Centre Beaubourg, rebaptisé Centre Georges Pompidou lors de sa première rénovation des années 1970 par les architectes Piano et Rogers, a été rénové une deuxième fois au cours des années 1995-1999.
Notons aussi que depuis cette seconde rénovation la rampe d'accès, devenue escalator, qui avait libéralement été intégrée à l'espace public parisien durant une vingtaine d'années, n'est plus librement accessible aux chevaux comme au public, un péage a été instauré qui tient à l'écart les flâneurs, les promeneux, comme les petits curieux.
Dans le même temps, car un progrès en appelle toujours d'autres, forcément plus bouleversants, le grand hall du rez-de-chaussée a été réaménagé en hall d'aérogare capable d'abriter les filles d'attente d'un public nombreux et enthousiaste. Mais curieusement, en raison des mesures de sécurité et de l'étancheïté désormais instituée entre la BPI et le reste du centre (on ne mélange pas l'Art et les scribouillards) ce hall a été vidé de cette fonction de salle d'attente : les queues souvent monstrueuses, et quel que soit la météo (grand froid, pluie, cagnard), se font à l'extérieur : sur le parvis pour le Musée, rue Beaubourg pour la BPI.
On notera aussi au crédit de cette seconde rénovation la disparition de la grande fosse centrale qui, dans le hall, accueillait des évènements plastiques et oeuvres de grande taille pour la joie première (et gratuite !) des visiteurs. On ne sait trop si la disparition de la grande Nana de Niki de Saint-Phalle, que le Musée d'Art Moderne a "égarée" dans ces années là est liée à cette réorganisation-marchandisation du Centre Georges Pompidou. S'agissait-il en fait d'une évasion ?

Notons enfin que ces innovations ont reçu l'aval d'une palette assez large de décideurs politiques : initialement mises en œuvre sous les gouvernements Balladur et Jupé, elles furent inaugurées, sans qu'elle y trouva à redire, par Madame Catherine Tasca (gouvernement Jospin).

Nota bene : le lecteur aura compris qu'il s'agit d'un gag. La photo, trouvée dans une revue populaire d'avant 14-18 représente l'écurie à chevaux d'une unité de la police d'une ville allemande (dont j'ai oublié le nom). Ce bâtiment avait retenu l'attention du rédacteur comme innovation architecturale. Remarquons que la structure de cette écurie ressemble beaucoup (les matériaux en moins) à celle du Centre Georges Pompidou. J'aimerais savoir si Piano et Rogers ont vu cette image ou s'ils l'ont "ré-inventée" ?

lundi 5 avril 2010

Faire l'andouille ou manger l'andouille au pays du Maroilles ?

Le RP Maurice Lelong op, "faisant l'andouille", pour réjouir le cœur de ses hôtes,chez son éditeur Robert Morel en Haute-Provence dans les années 60 - Courtoisie d'Odette Ducarre


Dans la "Célébration de l'Andouille" de Maurice Lelong*, publiée en 1964 par Robert Morel, l'auteur décrivait longuement comment on mangeait l'andouille dans son enfance picarde du nord de l'Aisne. Par gourmandise pour la "merveille de Maroilles" de son enfance il situe souvent dans ses textes, Estrées, son village natal, en Thiérache alors qu'il en est, si on se rapporte à la géographie officielle, à quelques encablures soit au nord de Saint-Quentin. Mais avant de vous livrer les citations de ses souvenirs d'enfance écoutons d'abord comment, en poète toujours attentif à la couleur des mots, il annonçait son sujet :
* si vous voulez en savoir  plus sur l'auteur allez voir les messages précédents

"Si vous avez le courage d'avouer que vous travaillez à couronner le monument de vos œuvres complètes par un traité de l'Andouille, la première réaction de votre interlocuteur, immédiate, fatale, inéluctable,  est celle du rire. Il rit jaune ou pincé; il rit franchement, à gorge déployée; il rit avec indulgence, comme on fait pour atténuer une incongruité; il rit d'un rire amusé si la nouvelle lui apparaît d'emblée comme une bonne blague, mais il rit…
Mon Andouille a suscité tant de rires, de toutes couleurs, que j'ai tenté d'approfondir l'automatisme de ce phénomène dont on sait qu'il est le propre de l'homme…
 
Il est certain que la consonance des mots recèle d'étranges vertus. A, e, i, 0, u, «voyelles, je dirai quelque jour vos naissances latentes ...». Il est remarquable que toutes les voyelles du fameux sonnet de Rimbaud sont mobilisées par le nom d'Andouille. A, 0, u, i, e ... L'oxygène qu'elles lui apportent donne à ce mot son ouverture, sa robustesse et sa santé…
..Cependant, elle ne rend pas compte des richesses inépuisables en vertus hilarantes de ce trésor national : la rime en ouille. Qui dira d'où vient que cette syllabe terminale chatouille l'oreille de façon si plaisante et dilate irrésistiblement la rate !
 
Loin de moi la pensée de reprocher à un mot le pouvoir de déclencher l'hilarité. On n'est pas en vain de la région des fabliaux où Notre-Dame est invoquée dans le peuple sous le vocable de Liesse.
 
Cela jette peut-être une lueur sur les origines lointaines de ce traité de l'Andouille et pourrait à la rigueur expliquer comment il s'est imposé à moi, mais ne rend pas compte du pouvoir des mots en ouille de dérider les hommes. Un fait indéniable: c'est la vertu que possèdent généralement les mots qui s'épanouissent dans ce phonème replet, bonasse, familier et réjouissant. Témoins: citrouille, grenouille, gargouille, grouille, bouille, bredouille, nouille, farfouille, trouille, niquedouille, Gribouille et ratatouille. Sans oublier, comme de juste, le Grand Ordre de la Gidouille, créé par Alfred Jarry…
 
Cependant, notre Andouille paraît détenir tant de puissance humoristique qu'elle est à la tête de cette joyeuse compagnie. On la soupçonnerait même d'agir à travers ses émules par voie d'osmose, comme si la vis comica des mots en «ouille» procédait de l'Andouille et n'y refluait, en portant les hommes qui ont tant besoin de gaîté pour accomplir leur bienfaisante désopilation. 
  
Quoi qu'il en soit, le Grand Maître, virtuose du Verbe, versé comme pas un dans la physiologie des mots, savait ce qu'H faisait au Quart Livre lorsqu'il fit descendre Pantagruel en l'isle Farouche où habitait le peuple des Andouilles. "

Maurice Lelong fait ensuite l'inventaire des occurences régionales (et même planétaire) linguistiques et gourmandes de l'andouille et de l'andouillette. Puis il conclut sur l'évocation des souvenirs de l'andouille de son enfance. L'andouille dont il s'agit ici est "l'andouille de ménage" comme lui dira un restaurateur interrogé, celle qu'on ne trouve pas chez le charcutier ou au restaurant, l'andouille villageoise des jours où l'on tue le cochon chez le voisin. Andouille qui se prépare au "bouli" car le "grillé", dans cette France du nord d'il y a cent ans, n'était pas encore entré sur la table des pauvres.


Chaque samedi la viande faisait ainsi son apparition dans la chaumière de mon grand-père, sous les espèces invariables de vingt sous de bouilli. C'était l'époque de la prospérité : il fut un temps où la maisonnée n'en avait que pour quatorze sous ! Nous prononcions d'ailleurs bouli, comme nous disions andoull', ainsi que transcrit phonétiquement M. Littré. Je revois toujours, sur le poêle de fonte nouvellement frotté à la mine de plomb, l'emplacement de la mince tranche que mon grand-père avait mise à rôtir dès le samedi soir, comme un acompte - les premières Vêpres du bouli - et je hume encore, le lendemain à la sortie de la messe, la bonne odeur de la soupe. Voici le morceau de sucre qui fondait sous le tisonnier rougi pour colorer le bouillon, et l'os fumant dont on me réservait la moëlle. (Je me demande .ce que le boucher d'Estrées pouvait faire des autres parties de la bête.) Pour moi, je ne me souviens pas d'avoir jamais vu, sur la table familiale, une autre viande que celle du bouli, hormis, de loin en loin, l'extra d'un lapin aux pruneaux, quand les épizooties qui ravageaient le clapier avaient d'aventure épargné l'un ou l'autre occupant des caisses à savon, où l'on tentait de précaires élevages.


Or, voici qu'une fois par an, à une date indéterminée, mais en hiver, au repas du soir, l'andouille faisait son apparition. C'était un événement.


        La veille, j'avais vu mon grand-père ramener la chose comme un trophée. Il la portait précautionneusement, dans un grand plat qu'elle remplissait en spirale. Il dénouait les quatre coins du torchon de lin écru, bordé d'une large bande rouge, qui enveloppait l'assiette. Ma grand-mère considérait l'achat d'un œil connaisseur. Elle hochait la tête, soupesait l'andouille du regard. Ensuite, elle complimentait: « C'est du bieu. »


        L'Andouille passait la nuit au frais, entre la fenêtre et les contrevents bien clos, où elle s'égouttait à loisir, à l'abri des chats.
        Le lendemain, la grosse marmite gloussait d'aise, en soulevant son couvercle d'émail pour exhaler des soupirs de vapeur bleue et odorante. Mon Dieu ! qu'il fallait alors peu de chose aux pauvres gens pour goûter au bonheur !


        De tout temps le porc a été associé aux liesses paysannes. Pierre Breughel-le-Vieux n'eut garde d'oublier de saigner un porc quand il peignit le dénombrement de Bethléem. Au Portail Royal de Chartres, et en maintes cathédrales, le sculpteur du Zodiaque nous montre, en novembre, l'abattage du porc. Et comme les simples savent que pour être tout à fait heureux il faut donner, dans mon village quand un particulier tuait le cochon, il donnait du sang à ses voisins et connaissances. Il paraît qu'en Périgord on envoie des boudins ou des saucisses. Là-bas, traditionnellement, les pieds reviennent à Monsieur le Curé. Chez moi, le voisinage faisait de la soupe au sang. 

        La mort du cochon, c'est la joie au cœur des hommes. Tenez, un petit air guilleret remonte des premières années de mon enfance picarde et m'apporte une bouffée de cette allégresse qui était faite de rien, ou de si peu : « On carillonne! On carillonne! On carillonne à Saint-Quentin! Des tripes et des boudins! Des tripes et des boudins ! » Rien que ces mots plaisants, qui se répondent et que se renvoient les cloches du beffroi dont la première guerre est venue à bout, et voici que le monde change de couleur.
        Mon grand-père maternel, quand il était d'humeur gaie et qu'il voulait m'enchanter, fredonnait un autre couplet:
Si t'avoué v'nu
Téroé minjé d' l'andoule;
Pusque té point v'nu
Al é restée pindue. 

        Quel émoi, l'autre jour, au Palais de Chaillot, de retrouver ma vieille chanson, en fouillant les collections du Musée des Arts et Traditions Populaires, le seul endroit, à Paris, où vous pouvez annoncer, sans faire rire, que vous faites de l'Andouille l'objet de vos études. Merci à M. Lavigne d'avoir recueilli ce quatrain innocent à Cumières-le-Mort-Homme, dans la Meuse: « Si t'avais venu, t'aurais mangé de l'andouille, comme ,t'as pas venu, elle est restée pendue. » 

        Qui dira dans quel lointain passé de repas baconiques ces réjouissances élémentaires plongent leurs racines ? Je supplie M. Etiemble de ne pas me soupçonner de parler franglais. En Bresse, les repas de cochon, qui éclairaient et réchauffaient les durs hivers campagnards sans télévision, avaient demandé un adjectif au dieu celte Baco (ou Bacon), que Camille Jullian identifia avec un dieu porc ou un dieu sanglier.


        Dieu merci! notre Andouille familiale était vierge de toute trace de paganisme: un peu d'attention y aurait pourtant décelé le caractère le plus authentiquement sacré, qui est la marque du repas chrétien. Car le père Dumas (Alexandre) est encore loin de compte quand il écrit que cette « action journalière et capitale ne peut être accomplie dignement que par des gens d'esprit » ... Ce n'est pas en vain que les agapes ont pris leur nom à l'amour. Le pape Jean XXIII, qui, étant bon, aimait bien manger, ne supportait pas d'être seul à table. Aussi, quand il n'y tint plus, il contrevint à ce protocole barbare qui le privait de commensal, et il invita son jardinier. Comment se fait-il que nous voyons très bien le bon pape Jean mangeant une andouille avec un jardinier du Vatican, alors que la pensée que S.S. Pie XII aurait pu en faire autant sous l'œil d'un garde-noble dépasse l'entendement ? 

        Je vous laisse approfondir cette hypothèse, et je reviens à mon andouille familiale.
        Lorsque paraît l'andouille ... Non, on n'en dissertait point, et le cercle de famille ne se croyait nullement obligé d'applaudir à grands cris. C'était bien autre chose que de la littérature! On était content, content de sentir contents ceux qu'on aime, et content que l'andouille fût cuite à point. 

        Comme elle avait fondu dans la marmite! Mais il me semble qu'elle avait forci. Montesquieu a parlé de ces orateurs qui vous donnaient en longueur ce qui leur manquait en profondeur. Ce qu'elle perdait en longueur, notre Andouille familiale le gagnait en grosseur.
        A ce propos, voici un conseil de sagesse que je trouve dans ce Dictionnaire Universel d'Agriculture et de jardinage, de fauconnerie, chasse, pêche, cuisine et manège de 1751, que je dois à l'amitié du très érudit berger Jean Blanc : « Remplir les boyaux aux deux tiers, de peur qu'ils ne crèvent en cuisant. »
        Pour sa cuisine d'andouille, le même auteur a besoin d'anis, de basilic, de fines épices. D'autres exigent du fenouil, du coriandre et des aromates. Après quoi, il faut les passer au gril et les servir en hors-d'œuvre. Ailleurs, je lis que l'andouille se mange froide, comme la haine. 

Il était bien question de hors-d'œuvre, à la table de mon grand-père ! Le terme, lui-même suspect, n'a jamais passé le seuil de sa maison de terre, de bois et de paille. L'Andouille fraîche de mon enfance venait toute chaude, à l'instar de l'Andouille vigneronne, sur un lit de haricots de Soissons, qui était la capitale du diocèse lui-même… Dans le diocèse de Soissons, nous savons que le haricot blanc était initialement voué à l'Andouille.
        La frugalité habituelle de la table ouvrière nous dispensait de prendre en considération les interdits et les restrictions de la diététique d'aujourd'hui pour estomacs délabrés et circuits digestifs avariés. Pas d'andouilles pour les hépatiques. dyspeptiques, colitiques, goutteux, rhumatisants ... Bien entendu, la phobie de la graisse empêche ces mangeurs débiles de se permettre l'andouille qui ne serait point grillée. Quand je lis que les quelque 300 à 400 calories fournies par cent grammes d'andouille obligent les enfants et les vieillards à s'en abstenir, je ris au Souvenir d'un petit garçon de 6 ou 8 ans qui se régalait autant que sa grand-mère devant ce plat unique et vespéral : l'Andouille. 

        Quant au grand-père, la société des joueurs de crosse (le mail antique ou maillet) dont il était l'animateur, lui donnait parfois l'occasion de manger l'andouille avec ses compagnons. (Lui-même taillait dans le buis la soule, qui est un des jeux de Gargantua, l'ancêtre du golf aristocratique.) Après certaines parties, on se réunissait chez un des joueurs. On faisait une partie de piquet, et l'équipe perdante offrait l'Andouille qu'on mangeait entre amis joueurs de crosse. Oh ! rien des galimafrées moyenageuses. La gaieté était dans l'air, et les tisserands à domicile, ou ceux du Galère - on disait «Le Galère », au masculin; c'était le premier atelier de tissage, dont le nom dispense de toute explication - oubliaient pour un soir leur sort de misère. Le comique du village chantait. J'imagine que les gaudrioles (le mot appartenait à notre langue) allaient leur train, car ma grand-mère, qui admettait la plaisanterie mais souffrait de la mauvaise tenue, ne voulait pas de ces banquets sous son toit de chaume. Ce fut pourtant l'une de ces compétitions sportives et champêtres qui amena un jour mon père au village de mon grand-père maternel.


        A la première page de mon premier livre d'histoire de France, lorsqu'au commencement de tout on apprend que nos ancêtres les Gaulois avaient les yeux bleus et les cheveux blonds, comme le Président Léopold Senghor - je jure que j'ai vu, de mes yeux qui ne sont point bleus, ces mots sur le tableau noir d'une école de Dakar - un dessin montrait une enseigne gauloise: un cochon que j'avais colorié au crayon rouge. Ainsi, la longue nomenclature des dates, des massacres et des glorieuses conquêtes qu'il fallait nous mettre dans la tête, commençait par une silhouette de cochon, de l'espèce qui venait à moi, le jour de la Saint Nicolas, en pain d'épices, avec mon prénom calligraphié en sucre rose. Comme l'institutrice, Madame Alavoine, qui venait manger l'Andouille chez nous, au jour faste des liesses familiales, avait négligé de m'ouvrir d'autres perspectives sur ce terme, l'enseigne gauloise ne m'évoquait que celle du cabaret. Il était bon, après tout, que la Maison de France arborât ainsi, à sa devanture, une marque distinctive. 

        Voilà pourquoi, si j'avais moi-même à choisir des armoiries - ce qu'à Dieu ne plaise! - je prendrais une Andouille, oui, une Andouille héraldique, sur fond de gueules.
        Quant à la devise de ce blason, elle tiendrait dans les deux mots latins qui portent la joie et l'action de grâces du monde, tels qu'ils ont jailli du cœur de mon ami le Père Duployé, le jour où je lui annonçai que j'écrivais enfin le livre de ma vie : « L'Andouille, c'est le TE DEUM du pauvre! »
Ainsi soit-il.

dimanche 4 avril 2010

Un écrivain picard originaire du nord de l'Aisne, trop oublié : Maurice Lelong op

Portrait du RP Maurice Lelong op, courtoisie d'Odette Ducarre



 Avant de lire cette contribution, lisez, de préférence, la contribution précédente, sur la "Célébration de l'œuf" qui inclut une longue citation de souvenirs de la petite enfance picarde  de Maurice Lelong.

Ce temps de Pâques est pour moi l’anniversaire (le cinquantième) d’une rencontre qui fut brève mais changeât le cour de ma vie d’adolescent. Profitant des vacances de Pâques je participais à une session de formation à l’économie (on dirait aujourd’hui à l’économie solidaire) qui se déroulait sur le site de l’abbaye dominicaine de l’Arbresle (construite par Le Corbusier) au nord de Lyon.  A un moment de détente je rencontrai dans le jardin de l’abbaye un père dominicain qui était là de passage comme moi me dit-il : le RP Maurice Lelong. Belle figure bienveillante, il s’enquit de mon jeune âge, de mes études et de mes soucis. J’étais dans le technique, préparant un BEI de mécanique, une filière courte qui ne m’ouvrait aucune perspective de sursis militaire. C’était le temps de la guerre d’Algérie et de ses horreurs, je lui dis que je ne voulais pas faire cette guerre et que j’envisageais de déserter si on m’y envoyait. Je lisais alors, souvent en cachette,  « Témoignage Chrétien » et ce que je savais des pères dominicains me faisait espérer une sympathie pour cette résolution d’adolescent. Il s‘inquiéta d’où je vivais, de ma famille et il me dit que c’était une résolution bien lourde, que les soutiens seraient difficiles à trouver dans mon milieu modeste et provincial, que le prix à payer serait long à porter. Et il me prodigua ce conseil qui n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd : « Tu as l’air vif et intelligent, passe le bac comme candidat libre, tu auras un sursis, et la guerre sera finie ».

Rentré au lycée, j’en parlai à mon professeur de français qui était un homme droit et bienveillant. Il me prêta une méthode Assimil pour commencer à apprendre l’anglais (nous n’avions pas de cours de langues étrangères dans le technique) et me conseilla d’en parler au dirlo.
Le dirlo affectait l’ennui hautain du type qui se demande  par quelle méprise on a pu le nommer dans un lycée si peu prestigieux (même pas une Sous-Préfecture !) et il semblait surtout affairé à surveiller la promotion qui le délivrerait de  cet ennui. Un livre qu’il avait écrit sur Maupassant trônait  depuis deux ans en bonne place dans la vitrine de la librairie-papeterie face au lycée, c’était un notable lettré un tantinet cabotin, on lui connaissait quelques aventures en ville qu’il portait fier. Il accueillit froidement mon projet « Vous vous prenez pour qui mon petit machin ? », il ne voyait pas comment il pouvait m’aider. Aucun égard pour le fait que je récoltais tous les prix d’excellence, hors les notes d’atelier où j’étais plutôt lent et souvent maladroit, je m’abstins de lui parler de la guerre et des conseils du père Lelong. Nous n’étions pas du même monde.

Loin de me décourager, la morgue du dirlo me fut un carburant efficace, je bossai dur et l’année suivante je réussis, en même temps que le Brevet d’Enseignement Industriel, le premier bac. J’eus un sursis pour préparer le second, en travaillant comme pion.
Je n’ai jamais revu le RP Maurice Lelong (n’oubliez pas son prénom car il a un homonyme qui publie encore et dont l’écriture n’est pas du même tonneau)  mais, étudiant, je le redécouvris comme auteur des « Célébrations » (du Fromage, du Miel, de l’Âne, de l’Œuf, du Cimetière, de l’Art Militaire, de l’Andouille, du Fumier, du Vin, du Pain, publiées par un éditeur remarquablement innovant de ces années là : Robert Morel (Odette Ducarre réalisait les maquettes somptueuses).
  

Je vous reparlerai du Père Lelong car c’est une figure  littéraire, trop oubliée, du département de l’Aisne. Il aimait parler de la Picardie nord-axonaise de son enfance et la plupart des « Célébrations » contiennent des souvenirs passionnants sur la vie quotidienne et la langue truculente des familles de tisserands à domicile (à Estrées on dit encore les « trics-tracs ») de ces contrées avant la guerre de 14 (qui le rendit définitivement anti-militariste). Son goût pour le Maroilles le faisait le plus souvent s’identifier à la Thiérache et à l’Avesnois bien qu’il  soit né (en 1900) et ait vécu son enfance à Estrées dans le Vermandois, un peu au nord de Saint-Quentin. Quelques-uns se souviennent sans doute de l’homélie mémorable sur le fromage, radiodiffusée sur les ondes publiques,  qu’il prononça en 1962 en l’église de Maroilles, en présence des autorités, pour les fêtes du millénaire de « la merveille de Maroilles ». Ce fut, à n’en pas douter, le sommet d’une longue carrière de prédicateur radiophonique. Genre qu’il avait quasi inventé dans les années 3O sur la station PTT (l’enfance du service public radiophonique) de Strasbourg.  Je vous ferai entendre sa voix quand j’aurai résolu quelques problèmes techniques. Et aussi quelques extraits de cette célébration du Fromage .

Œuf de Pâques : comment l'on mangeait l'œuf quotidien dans un village picard avant la guerre de 14-18

 Dessin d'Odette Ducarre pour le livre "Célébration de l'œuf" par Maurice Lelong op, édité par Robert Morel en 1962

Ces souvenirs sont ceux du RP Maurice Lelong op (voir notice suivante) natif d'Estrées, village du Vermandois, un peu au nord de Saint-Quentin. Ils sont extraits d'un livre cité en légende de l'illustration. On remarquera l'attention qu'il porte aux "vocables colorés" du picard de son enfance.

"Si loin qu'il me soit donné de remonter dans la nuit de ma petite enfance, la journée commen­çait invariablement par un œuf cru... C'était un luxe dont il n'a jamais été question de priver «les enfants» : il y allait de leur santé, et il ne sera pas dit qu'il leur manquera quelque chose.

C'était un rite. D'un coup sec maman cognait l'œuf sur le bord de l'écuelle, ou plutôt elle le buquait. (Notre voisin picard, Robert de Clari, conjuguait déjà, au XIIe siècle, le verbe buskier.) La coquille s'ouvrait. Ayant vidé le jaune et le blanc dans le bol de faïence, maman humait, l'une après l'autre, les deux parties de la coquille que nous ne connaissions que sous le nom d'écaille. Cela fait, dans un soupir aspirant de profonde satisfaction, les paupières mi-closes, elle se disait, en prolongeant longuement la dernière syllabe: « Que c'est bon! » de sorte que nous étions mis en appétit. Voilà pourquoi je raffole des œufs crus….

Après quoi, maman battait vigoureusement l'œuf à l'aide d'une fourchette de fer, expulsait parfois-le germe, et démiotissait assez de pain pour que le tout soit absorbé. (Les mouillettes beurrées étaient réservées aux jours fastes, chez ma grand-­mère.) Comme il arrive souvent, lorsque je cherche les antécédents de mon patois natal, le vieux français demiër, s'émietter, justifie le doux parler de mes premiers ans.

Je fus souvent, en cet âge bienheureux, le témoin émerveillé d'une autre façon, quasiment acrobatique, de déjeuner d’un œuf cru et d'un quignon de pain.

Il exige d'abord l'extrémité de la miche, ou quelque morceau taillé dans la couronne, qui était le pain le plus courant, en évitant la baisure. (La baisure, soit dit pour que nul n'en ignore, est l'endroit où la croûte fait défaut parce que, dans le four, le pain a touché son voisin, et je découvre soudain, sur mes vieux jours, que ce terme char­mant de la boulange picarde n'est pas étranger à la langue française.) Il me semble que ce morceau de choix s'appelle entame, qu'il s'agisse du pain ou du rôt, mais c'est un mot que l'on n'employait qu'à l'état de verbe: nous disions crunot, dont je désespérais de retrouver le certificat d'origine ­- crusta, la croûte, était bien suspect - lorsque je m'avise que cette forme de crunot était francisée. Ma grand-mère prononçait « crunieu », et nous voici reportés au vieux français craneüre, qui est l'entaille.

Je revois, dans cet exercice, ma grand-tante Flore, si fière de son mari, dont elle disait à mi-voix qu'il allait avec les riches. (Cela signifie qu'après la messe du dimanche il entrait dans le cercle des cultivateurs qui bavardaient ensemble, et parfois allaient prendre un verre chez Meïa.) Tante Flore ôtait proprement la mie du crunieu, à la pointe d'un couteau, d'un seul mouvement circulaire, et vidait un œuf dans ce petit cratère qu'il remplissait à ras bord.

Les mots qui n'ont jamais servi à d'autres usages restituent infiniment mieux que des essais littéraires le parfum du temps perdu. Un vocable coloré remonte des limbes du passé pour décrire cette opération de l'œuf qu'on mettait au creux du morceau de pain: on l'anichait.

Un peu de sel et de poivre, et c'était un jeu que de battre légèrement, à petits coups précipités, à l'aide du cône de mie d'abord prélevé, le globule d'or et la liqueur d'argent de l'œuf.

Le grand art commençait au moment d'enta­mer la croûte en sorte que le niveau du liquide et le bord du pain s'accordassent jusqu'à l'ultime bouchée : (Nous prononcions bouquie, en gardant l'i du XIIe siècle.)

Il n'y a pas que le pain, hélas! qui soit «perdu» depuis un demi-siècle : il y a aussi, notamment, le geste émouvant d'Alexandre, le vieux varlet (je tiens à l'r, qui rend le mot honorable) de la ferme Moreau. Celui-là cassait deux œufs, l'un après l'autre, dans un quintieu proportionné à son appétit. Le voilà enfin, le mot propre qui se déro­bait parce qu'il est oublié depuis qu'il n'y a plus de vrai pain: l'admirable chanteau, du xve siècle.

Cela se passait dans un décor de labour. Au bout du sillon, Alexandre avait immobilisé l'atte­lage des trois boulonnais fumants, pour une pause. (C'était la feumée, le goûter qui interrompait l'après-midi étant le r'chiner, re-cœnare). Ici, une alouette invisible faisant pleuvoir un chant éperdu, est presque indispensable. L'homme mange posé­ment, consciencieusement, comme il fait toute chose. Quand ils estiment que le moment est venu, les trois puissants chevaux tournent la tête vers leur compagnon, sachant bien ce qu'il va faire. Alexandre partage alors le fond du chanteau imbibé d'œuf en trois parts égales, pour ne pas faire de jaloux, et il donne une bonne bouchée à Bayard, à Marie et à Julie. Les chevaux broient longuement la friandise, et le frémissement électrique de leur robe exprime un contentement de gratitude.

Les derniers  varlets d'Estrées sont-ils toujours capables de se régaler de deux œufs crus à même, un chanteau de pain? Je vais le demander à Alcide, mon camarade d'école qui a été fidèle, lui, à la terre, et qui est le maire du pays. Je crains surtout que plus personne n'ait ce geste d'amitié avec 'les chevaux. Comment ferait-on, sous le règne du tracteur ? ... "

En conclusion de cette "Célébration de l'œuf", Maurice Lelong concluait ainsi ce petit livre gourmand, annonçant ainsi une autre "célébration" :

"Les choses les plus utiles ou les plus exquises d'ici-bas n'ont pas tout dit une fois qu'elle nous ont permis de vivre une heure de plus et nous ont réchauffé le cœur. Elles ont aussi à nous parler de l'essentiel, qui est invisible et fait durer le reste. L'homme ne se régale pas d'œufs comme les renards, les loutres, les chats et les ours: il cherche une autre dimension, et c'est alors que commence l'aventure.  Pour avoir laissé l'art et la poésie à l'entrée de la cuisine, nous n'avons pas renoncé à nous risquer dans cette expédition semée d'embûches;  C'est un voyage plus hasardeux que celui de Christophe Colomb qui s'est illustré de la manière que l'on sait, à la table d'un Grand d'Espagne où quelques nobles plaisantins allaient se faire moucher à propos d'un œuf.  Nous tâcherons d'aller beaucoup plus loin, il nos risques et périls, dans la nuit mystérieuse des cosmogonies, de la mythologie et des mystiques de l'œuf, jusqu'au seuil des nouveaux cieux et de la terre nouvelle où éclatera, dans un éclaboussement de lumière, au chant de l'alléluia, l'œuf de Pâques."