Michel Harmelle (1916-1995), soldat oublié de 1940

Sa jeunesse

Il naît en 1916 au mitan de la grande guerre, qui devait être la der des der, comme je naîtrai au mitan de la seconde. En Haute-Marne, dans ces années là, on se marie dans le lit de la guerre entre personnes déplacées des zones dévastées du front et autochtones. Son père vient de l’Argonne, mon grand-père maternel vient des Vosges, pour les mêmes raisons de guerre. Familles de tâcherons qui s’occupent dans les fermes, dans les fonderies de la vallée de la Marne, comme cantonniers sur les routes. Son père a été gazé au combat, je ne sais plus sur quel front, il en restera diminué pour le restant de ses jours. Après guerre la famille part travailler à Paris, chez Gévelot, à Issy-les-Moulineaux, c’est encore une banlieue usinière, logement étroit, on fait aussi concierge, car on ne gagne pas de quoi se loger décemment. Un frère, une soeur, une famille dure à vivre car le père trouve souvent dans l’abus d’alcool l’oubli des souvenirs du front. 
Ce n’est pas un cocon et chacun trouvera dans la fuite le chemin de sa propre résilience. Mon père réussit le certif avec mention, c’est un bagage respecté en ce temps là, le "Petit Larousse" qu’il gagne à cette occasion deviendra plus tard notre dico familial. Il a sans doute rêvé d’études plus longues, intellectuellement il en a les moyens, mais l’ “élitisme républicain” (un oxymore qui donne la mesure de nos vantardises nationales) n’est pas au programme de la famille. A quatorze ans les mômes vont au boulot. Petits boulots d’abord, groom dans un hôtel, livreur chez un crémier, puis un emploi plus stable aux Comptoirs Français”. Il lit, il lira toute sa vie, il va au concert, à des conférences. Au musée de l’homme, au musée de la Marine pour écouter le commandant Charcot, il l’aborde un jour espérant décrocher un embarquement sur le “Pourquoi Pas ?”. Pas d’appuis, un mince bagage, le rêve d’aventure échoue.

Michel Harmelle vers les années 34-35 où il rêve d'embarquer
sur le "Pourquoi pas ?" du commandant Charcot. 
Il a été réformé en 34.
Il a un oncle communiste qu’il aime bien, mais il ne devient pas communiste, il a flairé le totalitarisme, il sympathise avec les Croix de Feu et le PSF (parti socialiste français à ne pas confondre avec le PPF de Doriot) du Colonel de la Roque. C’est un engagement que je lui reprocherai, bien injustement, adolescent, au nom de l’arrogance et de l’inculture historique de cet âge. Les historiens respectés disent aujourd’hui que de la Roque n’était pas fasciste. Nationaliste certes mais d’un genre qui refuse le front commun avec les ligues d’extrême droite qui, en 34, veulent prendre d’assaut l’Assemblée Nationale, d’un genre qui abhorre le fascisme hitlérien et mussolinien, qui refuse la collaboration et les lois anti-juives de Pétain, et qui est finalement déporté pour faits de résistance.

C’est ce fond de convictions qui fait qu’en 1939, mon père s’engage volontairement pour la durée de la guerre alors qu’il pourrait y échapper (en 34 l’armée l’a trouvé trop chétif et l’a réformé). Il faut se souvenir que dans le même temps l’extrême droite spécule sur la victoire des fascismes et que la direction du PCF adhère au pacte germano-soviétique.
Mon père a le permis de conduire (il a aimé la moto dans les années du Front Populaire), c’est une qualification très recherchée par une armée qui tente de rattraper son retard en matière de motorisation, il est versé dans la cavalerie.

D’abord dans une unité d’instruction, puis très rapidement comme chauffeur au 25ème GRCA (Groupe de reconnaissance de corps d'armée)
Michel Harmelle juillet 1938
C’est une unité de cavalerie semi motorisée (deux escadrons à cheval dotés de 500 chevaux, 2 escadrons motorisés dotés de 85 camions et camionnettes et de 105 motos et side-cars, à la différence d'autres GR, elle n'est pas équipée d'automitrailleuses). L’armement est moderne mais léger : fusils, FM, mitrailleuses, mortiers légers, canons de 25 mm). L’équipement en motos et side-cars sera renforcé fin mai-début juin, durant de tentative de consolidation du front de la Somme et de l’Oise.
 
Michel Harmelle en 1939, sans doute quand il est en cours
d'instruction à Rambouillet. Il est engagé volontaire
pour la durée de la guerre (il a été réformé en 34)
C’est une unité très mobile dans une armée qui l’est peu. Elle sera presque en permanence au front, sauf durant le bref intermède où elle est redéployée, après le 13 mai, des avant-gardes de la ligne Maginot vers le front de la Somme, de l’Oise et de l’Aisne.

Le 10 mai 40, le 25 ème GRCA est à la frontière luxembourgeoise à la hauteur de Mont-Saint-Martin, en cas d’attaque allemande il doit pénétrer en profondeur au Luxembourg pour y détruire un noeud ferroviaire. Les troupes allemandes pénètrent dans la nuit au Luxembourg et, quand il reçoit l’ordre d’exécuter sa mission, entre 8 et 9 heures, les troupes allemandes sont déjà presque à la frontière. Ce sont des troupes bien armées qui défendent le flanc sud de la ruée Est-Ouest des panzers vers Sedan. Le 25 ème GRCA, unité légère, ne réussit à pénétrer que de quelques kilomètres au Luxembourg. Au bout de deux jours de combats il doit se replier derrière la ligne Maginot en ayant essuyé de lourdes pertes.
Michel Harmelle en 1940 (à gauche et au fond), date et lieu inconnu
avec un groupe de soldats du 25° GRCA
Mon père, qui est chauffeur d’une camionnette, n’est pas en première ligne dans ces combats (comme d’ailleurs par la suite), car le parc automobile de l’unité, qui en assure la logistique, est presque constamment maintenu à l’arrière sur des positions camouflées pour garantir la mobilité de l’unité et son approvisionnement. La menace des bombardements et des mitraillages par l’aviation allemande est cependant sans cesse présente et il subit un premier bombardement le 13 mai à Cons-la-Grandville.

Lors de son redéploiement sur l’Aisne son unité est bombardée les 21 et 22 mai à Tracy-le-Mont et Tracy-le-Val. Ensuite le 25ème GRCA est déplacé, vers la Somme, au sud de Roye et les 25 et 26 mai il est durement bombardé à Laberlière et Roye-sur-Matz. Mon père note le 26 mai “Laberlière, subissons bombardements nombreux, beaucoup de camarades morts”.
S’il est moins exposé que les soldats de l’avant, mon père est souvent volontaire, au cours de cette période, selon le témoignage d’un de ses camarades de régiment qui venait à la maison au cours des années d’après guerre, pour les missions dangereuses. Début juin il part récupérer à Chauny, que les allemands sont en train d’investir, des réseaux de barbelés, quand il revient il voit Noyon en feu. Le 11 juin, après la bataille de Verberie sur l’Oise, quand le plus gros du régiment brise l’encerclement, il note “nous quittons Montepilloy à 9h45, je suis le dernier à quitter le village, nous entendons les mitrailleuses ennemies. Il est temps, nous allions être prisonniers, nuit tragique le GR est sacrifié pour faire la retraite, beaucoup de morts.”  Le 13 juin il note encore “nous arrivons à Montagny-Sainte-Félicité exténués mais plein d’espérance, notre colonel est gonflé, d’un sang-froid admirable.” Le lendemain plus au sud dans une ferme aux confins de la Brie (les Essarts), “nous sommes 5 ou 6 copains autour d’une mitrailleuse que le lieutenant Juet vient de ramener quand vers 3 heures de l’après-midi, tombe un obus sur un hangar voisin, 1er obus : 2 morts et 7 grièvement blessés, ça tombe dans tous les coins.”


Michel Harmelle, été 40, sans doute en Corrèze où le 25 ème GRCA
est stationné dans l'attente de sa démobilisation (il est au centre devant le camion,
et porte un béret)
Le 16 juin alors que le 25 ème GRCA tente de gagner la Loire, il écrit dans son agenda de soldat“je suis envoyé en mission avec ma camionnette 85-874 accompagné par l’adjudant chef Lallement, nous allons chercher des camions dans la Beauce entre les lignes françaises et boches. Nous ne trouvons pas les camions, nous repartons pour rejoindre notre régiment qui doit avoir passé la Loire. Nous sommes fatigués, 8 jours que  nous ne dormons pas une seconde. Nous couchons dans un pays du Loiret, repos 2 heures car nous savons que les allemands sont derrière nous, Le 17 juin nous roulons vers Sully-sur-Loire, les routes sont encombrées, nous marchons lentement, nous sommes bombardés, civils et militaires, par des avions italiens et allemands.  Nous sommes à 600 mètres du pont quand le pont saute, il est 5h30 ou 6 heures, plus moyen de passer. Je prends une décision, nous allons suivre la Loire afin de trouver un pont et sauver le matériel. Nous arrivons dans la nuit du 17 au 18 à Châteauneuf. A minuit tout flambe y compris l’église. Les obus tombent autour du pont, 30 minutes pour le traverser. Je croyais ma dernière heure arrivée. Le lendemain avec beaucoup de difficultés nous rejoignons notre régiment à Argent, nous sommes sauvés

Le jour de l’armistice il note encore “armistice, défaite de la France, mais le GR a l’honneur sauf”. J’ai fait état des pertes du 25ème GRCA dans mon billet précédent (“les soldats oubliés de 40”). L’effectif des chevaux qui sont reversés, au moment de la démobilisation en Corrèze, à une autre unité, en donne aussi une idée : sur 500 chevaux, il en reste 106.

Mon père  a commencé la guerre comme simple soldat, il est démobilisé, en Corrèze, en août, il a alors le grade de brigadier, des galons qu’il a sans doute gagnés au fil des combats, c’est un non événement dans son agenda. Son régiment a reçu une citation collective à l’ordre de l’Armée, cette citation comporte l’attribution de la Croix de guerre avec Palme. Je ne verrai jamais mon père rejoindre une association d’anciens combattants ni exhiber ses décorations. Il a rejoint la résistance en 1944, et est mobilisé dans la réserve à la libération. Dans son agenda de 40 il écrit encore souvent “les boches” mais je me souviens que dans ma jeunesse il nous interdisait d’employer ce mot et qu’il n’était pas très bien vu dans son maquis car il y défendait l’idée qu’il fallait faire de la propagande y compris vers les soldats allemands qui, disait-il, “n’étaient pas tous nazis”.
Avec mon père et ma mère à un moment (1946, 1947) où j'hésite sur le choix des armes

Michel Harmelle en 1972, dans son jardin
en compagnie de son ami Monsieur Viard

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2 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour,
Historien amateur, j'ai participé à la rédaction du livre Verberie Juin 40, dans le quel le 25e GRCA est cité. Passionné par la cavalerie motorisée de 1940, je vous conseille de prendre contact avec M. Guidicelli sur le site : grca.free.fr
dédié aux GRDI et GRCA.
Bien cordialement,
Erik B

Anonyme a dit…

Bonjour,
Je suis toujours le même historien amateur qui envisage une nouvelle publication sur les combats de Verberie en Juin 1940. Pourriez-vous m'apporter votre aide ?
Bien cordialement,
Erik B