vendredi 4 février 2011

Alexandrie, Le Caire, Paris, Thiérache, Tunisie : « dans ces moments de panique, écrivait Victor Hugo au cœur de la révolution de1848, je n’ai peur que de ceux qui ont peur ».

Ces jours derniers je relisais « Choses vues » de Victor Hugo pour des projets sur ce blog : ses voyages, les notations météorologiques contenues dans son journal. J’en étais arrivé à son récit sur la révolution de 1848 : ses prémices vues de la Chambre des Pairs et de l’Académie, puis la relation des événements au jour le jour par l’infatigable promeneux qu’il était ; et quel formidable journaliste ! Dans son journal on peut suivre aussi la genèse de l’écriture des Misérables, Jean Valjean n’a pas encore trouvé sa forme littéraire achevée : Hugo nomme son chantier d’écriture du moment « Jean Tréjean », la révolution de 1848 et l’exil avec les proscrits du coup d’Etat de « Napoléon le petit » lui donneront son souffle définitif.
 
En le lisant il m’arrivait de penser aux évènements de Tunisie et d’Egypte. Non que je croie naïvement à une répétition de l’histoire ; je sais d’expérience qu’elle bégaie, se contredit,  se répète, parfois, en farces bien dérisoires. Je me souviens que nous avons mis presque un siècle, après 1789 - combien de révolutions et de coups d’état ? - pour que la République advienne comme état de droit pérenne où l’utopie démocratique est l’horizon, toujours perfectible, d’un peuple souverain.
 
Ce que j’entends, ce que je lis c’est l’évidence d’une communauté de climats : les espoirs, les émotions, les peurs, les rumeurs que suscitent les révolutions chez ceux qui les commentent ou les vivent parcourent des cycles et des figures dont l’universalité est limitée aux ressorts les plus intimes de l’âme humaine : le courage, la peur, le talent, le déchaînement toujours possible des ressentiments, des roublardises, de la violence d’Etat, le désir inextinguible de liberté, l’invention difficile de cette liberté. Ont-elles lu « les Misérables » cette jeunesse et ces classes moyennes éduquées qui se révoltent aujourd’hui dans le monde arabe ? Je l ‘espère un peu follement, mais peu importe, elles n’ont sans doute pas besoin de chanter, ironiquement, comme nous le faisons « c’est la faute à Voltaire, c’est la faute à Rousseau ». L’univers des Misérables elles l’ont sous les yeux tous les jours et il nous revient aussi en force depuis quelques décennies, depuis qu’internationalisant leur empire et leurs comptes off-shore, les Thénardiers ont pris le large de leur petite auberge de Montfermeil. 
 
Leur visage aujourd’hui c’est par exemple, cette agence de notation dont une dépêche m’apprenait il y a trois ou quatre jours qu’elle «dégradait la note de la dette publique de l’Egypte » comme elle le faisait il y a peu pour la Grèce et l’Irlande. A qui le tour ? Le « business plan » (comme dit mon député) des taux usuraires est simple : élargir sans cesse le carnet d’adresse de la pauvreté et de la suspicion. Presque imparable sauf quand un peuple a le courage de décider, démocratiquement, de ne plus honorer les dettes de ses banques privées : on n’a pas assez salué, moi le premier, ce courage chez le petit peuple d’Islande. David contre Goliath, c’était pourtant biblique.
 
Je relis ce qu’écrivait Hugo en février 1848 :
« Je ne comprends pas qu’on ait peur du peuple souverain : le peuple, c’est nous tous ; c’est avoir peur de soi-même.
Quant à moi, depuis trois semaines, je les vois tous les jours de mon balcon, dans cette vieille place Royale qui eût mérité de garder son nom historique, je les vois calme, joyeux, bon, spirituel, quand je me mêle aux groupes, imposant quand il marche en colonnes, le fusil ou la pioche sur l’épaule, tambours et drapeau en tête. Je le vois, et je vous jure que je n’ai pas peur de lui.
Je lui ai parlé, un peu haut* sept fois dans ces deux jours. Dans ces moments de panique je n’ai peur que de ceux qui ont peur. »

Pour lire la suite cliquez ici (le texte est assez long et je ne veux pas décourager ceux qui butinent sur le blog

1 commentaire:

JD T a dit…

"Juste poser avec légèreté un doigt sur les lèvres du désert"

Mille mercis à l’âne vert pour sa piquante sagesse et sa poésie douce à nos pourtant courtes oreilles.

J'ai pensé, vous lisant, cher âne, au très fameux Nasreddin Hodja (paix à son âne), héros de la littérature moyen- orientale avec sa philosophie de l’absurde.

Il y a la saillie de votre député bien sûr. Mais dans une tout autre gamme, il y a la posture très inconfortable dans laquelle se placent les représentants élus de nos démocraties, à soutenir du bout des lèvres les aspirations des peuples égyptiens et tunisiens, mais uniquement lorsqu'il n'est plus possible de faire autrement. Ne vous fait-elle pas penser à cette histoire mettant en scène Nasreddin ?

« En ces temps reculé, une grande controverse avait divisé le village en deux. Rien n’allait plus, on allait en passer aux mains. On appela en dernier recours le sage Nasreddin Hodja dans l’espoir qu’il parviendrait à trouver une solution. Sa femme, sa conscience, très réticente, l'avertit que tout cela risquait fort de se retourner contre lui.

Cependant, Nasreddin Hodja refusa de se dérober. Il se rendit sur la place du village et fit face aux deux clans.

Nombres voix en colères accompagnèrent celle du premier chef de clan, qui l’informa avec force détails des bonnes raisons qu’ils avaient d’avoir raison. Après les avoir écoutés, il leur dit :
- Vous avez raison.

Les partisans du second groupe menacèrent Nasreddin de leurs cris et de leurs poings (leurs carabines, leurs bombes, leurs prisons ?) pour le convaincre à leur tour de la validité de leur point de vue. Il les écouta et leur dit gravement :

- Vous avez raison aussi.

Sa femme (sa raison ?) le tira par la manche et lui souffla qu'ils ne pouvaient pas avoir raison tous les deux.

- Tu as raison toi aussi, lui répondit-il. »