vendredi 11 février 2011

Bientôt le gaz de schistes dans l'eau de vos robinets ? Une coordination de résistance est née cette semaine à Château-Thierry

Tous ceux qui ont vu dans « Gasland », le film, l’image de l’eau du robinet qui s’enflamme dans une maison d’une région des Etats-Unis où les forages de gaz de schistes sont en production à une échelle industrielle ne seront sans doute pas rassurés par l’arrivée en France, et de façon imminente dans le sud de l’Aisne et dans l’Oise, de cette nouvelle technologie d’extraction du gaz et du pétrole, et par l’opacité dont les plus hautes autorités de l’Etat ont entouré ce dossier. 
 Quand l'eau du robinet s'enflamme (Gasland)

Donc la France a découvert  cet hiver que le Ministère de l’Environnement avait signé des autorisations de recherche (qui valent autorisation d’exploitation si bonne fortune) dans plusieurs régions françaises : la bordure sud-est du Massif-Central (du Lot au Larzac), la vallée du Rhône, une bonne partie du nord-est du bassin parisien (soit le bassin versant de la Seine), et que des monceaux de périmètres de recherche (sur des dizaines de milliers de km2) étaient à l’instruction.

La technique de ces surprises citoyennes est bien rodée : affichage minimum des autorisations préfectorales sur les panneaux des mairie, le mois d’août étant recommandé pour les sujets qui peuvent brouiller les autorités avec les lobbyistes des sociétés qui partent à l’assaut de nouveaux eldorados. C’est ce qui a été fait cet été, nous a dit le maire de la commune de Doue (Seine et Marne, à quelques encablures de l’Aisne), où les premiers forages semblent imminents. Quelques élus et journalistes, José Bové et ses amis du Larzac, ont commencé à sonner l’alarme à la fin de l’automne.

Mes longues oreilles ont perçu d’abord faiblement ces petites musiques discordantes et l’annonce d’une réunion sur le sujet à Château-Thierry le 8 février n’est pas tombée dans l’oreille d’un sourd. N’étant ni géologue, ni scientifique j’étais néanmoins curieux d’en savoir plus, je suis allé à cette réunion et, pour votre édification, je l’ai filmée.

Et je n’ai pas été déçu par la qualité de l’information qui a été délivrée à cette occasion. Merci donc à Dominique Jourdain, Eric Delhaye et François Veillerette d’avoir, avec leurs amis, pris cette initiative. L’affluence était d’ailleurs à la hauteur de leur ambition, à tel point qu’une partie des invités n’a pu suivre et participer au débat que dans le froid, derrière les fenêtres (ouvertes car on suffoquait dans la salle) de la salle de réunion.

Je fais juste un petit résumé, après la fenêtre du film, de ce dont il s’agit pour ceux qui n’auront pas le temps ou les moyens (bas débit aidant) de regarder les films (j’en mets un en ligne aujourd’hui, les 3 autres suivront dans les jours qui viennent à un rytme que j'espère quotidien) qui détaillent les enjeux mieux que je ne saurais le faire. Je n'annoncerai pas forcément les 3 films suivants (exposés d'Eric Delhaye et François Veillerette, extrait des débats qui ont suivi) sur le blog. Vous pourrez aller les regarder directement sur YouTube en cliquant sur le lien suivant (la chaîne de l'âne vert) :
Ajouté samedi 12 février : le deuxième (Eric Delhaye) et le troisième film (François Villerette) sont visibles sur la chaîne de l'âne vert :
Ajouté dimanche 13 février : des extraits du débat et la naissance des collectifs "Carmen" (Toréador - c'est le nom de la société pétrolière - prend garde à toi ! )   sont visibles sur la chaîne vidéo de l'âne vert



D’abord la technologie de ces forages : il s’agit d’aller chercher dans des couches très profondes, à plusieurs kilomètres de profondeur, des gaz, huiles et pétroles enfermés dans des roches faiblement poreuses (schistes et argiles disent les géologues). On creuse des puits verticaux, puis des puits horizontaux de quelques centaines de mètre. Pour libérer le gaz ou les huiles il faut fissurer ces roches, le résultat est obtenu par une technique qui consiste à injecter des quantités énormes d’eau à haute pression et d’additifs chimiques. Contrairement aux forages pétroliers ou gaziers « classiques » (qui ne sont pas non plus sans danger quand les Thénardiers sont aux commandes de la technique) où les puits sont distants de plusieurs kilomètres, les forages avec cette technique sont un maillage très serré de puits presque mitoyens car les puits horizontaux ne peuvent drainer que quelques centaines de mètres de longueur et une faible largeur. Cette densité est le premier problème mis en évidence par les études américaines : un saccage des paysages très impressionnant, un champ de bataille qui ressemble aux lignes de front de 14-18 avec son cortège de logistique routière (des norias de poids lourds) et de bassins de décantation pour les eaux usées au devenir imprévisible.

Cette technique a été validée aux Etats-Unis, à peu près sans étude sérieuse d’impact sur l’environnement, à l’époque où le tandem Bush-Cheney, très lié au  lobby et aux intérêts pétroliers étaient aux commandes à  la Maison Blanche. On se souvient du genre d’expertise que cette équipe nous a servi pour justifier la deuxième guerre d’Irak et cela ne rassure pas. Cette technique a été déployée de façon très rapide aux Etats-Unis. L’expertise par les chercheurs, universitaires et écologistes américains (et canadiens) sur le bilan environnemental est donc récente, elle est d’ailleurs à peu près la seule disponible, et le tableau qu’elle dresse ne manque pas d’inquiéter et mériterait que les scientifiques comme les citoyens ne soient pas tenus à l’écart de ces enjeux. D’autant que le démarrage de cette technique en France semble s’opérer dans une ambiance d’affairisme et de concubinage avec le pouvoir en place qui ressemble furieusement à son acte de naissance outre-atlantique (un frère de Balkany est par exemple un des actionnaires important de la société qui a emporté le permis de forage dit de « Château-Thierry. Cette société s’appelle « Toréador », comme pour nous prévenir du destin qu’elle promet à ceux qui seront dans l’arène, elle a d’ailleurs un site qui documente ses techniques et ses ambitions).

 Car il y a à voir contrairement au « circulez y a rien à voir » que distillent les lobbyistes du secteur. En dehors des aspects paysagers déjà évoqués, il apparaît que l’étanchéité de ces forages par rapport aux nappes phréatiques est douteuse, il n’est pas rare que la fracturation provoque des remontées de gaz ou d’eau sous-pression (avec leurs additifs chimiques) dans les couches supérieures (le robinet où l’eau peut s’enflammer est parlant). La moitié des additifs employés n’est pas connu car il relèverait pour une partie des acteurs du secret industriel. Ceux qui sont connus sont pour une large part dangereux pour la santé humaine comme pour l’environnement. L’épuration des quantités considérables d’eau usées n’est pas maîtrisée. C’est donc la ressource en eau qui est menacée par cette technologie et le débat est désormais sur la place publique aux Etats-Unis et au Canada. De grandes agglomérations comme New-York sont actuellement en train de prendre des mesures d’interdiction sur des périmètres étendus pour protéger les nappes qui assurent l’alimentation en eau de leurs citoyens. L'impact négatif sur le climat est aussi à prendre en compte : cette technologie va prolonger la durée de vie des énergies fossiles non renouvelables et retarder la recherche développement sur les énergies non carbonées. Des inquiétudes se font jour aussi sur le réveil possible de bactéries très anciennes enfermées dans ces couches géologiques très profondes.

Voilà à grand traits ce que j’ai retenu des exposés que j’ai entendus mardi à Château-Thierry. Une coordination de lutte pour exiger un débat citoyen s’est esquissée ce jour là. Coordination départementale, régionale, inter-régionale, sans exclusive politique, philosophique, géographique, administrative, c’est un combat sans frontières et le pluralisme des participants à la réunion semblait indiquer que le pari d’un réveil citoyen sur ce dossier est à portée. Le Conseil Régional de Picardie a récemment voté (à l’unanimité ce me semble mais je n’en suis pas sûr) le principe d’une demande de moratoire. Le ministère a suspendu provisoirement les dossiers d’autorisation en cours d’instruction sans annuler les permis déjà accordés. Il n’y aura pas de vrai débat sans une forte mobilisation citoyenne car en dernière instance l’Etat est seul maître d’œuvre, comme propriétaire du sous-sol, sur ces dossiers.  

Si vous voulez en savoir plus vous trouverez des informations plus détaillées sur les sites de Cap21 ou d’Europe Ecologie mais on peut espérer qu’ils seront largement relayés par d’autres sources dans un avenir proche. Un des prochains rendez-vous pourrait être, début mars, à Doue, en Seine-et-Marne, où le démarrage des premiers forages semble imminent. Le site internet de la commune relayera sans doute l’information (son maire était présent mardi) comme les sites déjà cités. Je m’en ferai également l’écho si nécessaire.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour et merci pour ce reportage.
J'attends la suite avec impatience.

A bientôt

Nico

Gilles Héluin a dit…

Merci pour cet article et ces vidéos

Anonyme a dit…

Bravo ANE VERT de faire réagir,mais pourquoi ce manque d'unité comme pour les affiches FNE peu défendues par LES VERTS et surtout CAP 21 , il ne faudrait pas que la récupération politique soit trop évidente ....

Canal SEINE d'esprit

Ane-Vert a dit…

L'ambiance à Château-Thierry m'a paru assez unitaire et personnellement il me semble que sur ces questions le sectarisme est à bannir. Pour les affiches FNE je remarque que toute la classe politique est très prudente en Picardie sur la grande culture et l'industrie agro-alimentaire. Silence par exemple sur la filière betterave-éthanol pourtant si discutable (je lui consacrerai un prochain billet).
Dans le même temps je crois qu'il faut être vigilant à ne pas stigmatiser les agriculteurs dans leur ensemble : 500 suicides par an c'est beaucoup, c'est le signe d'un profond malaise et il ne faut pas oublier les efforts d'adaptation aux enjeux environnementaux d'une partie notable de la profession.
L'écologie des villes n'est pas toujours très attentive au rural profond où sont pourtant bien présents des modes de vie respectueux de l'environnement. La très faible mobilisation des élus écologistes sur le problème du canal de la Sambre à l'Oise est le signe d'une incohérence assez grave.