Portrait de Marc Bloch, photo prise sans doute dans les dernières années de sa vie.
(il est fusillé à Lyon le 16 juin 1944 à la veille de la libération, il alors 58 ans)
La Picardie, le département de l'Aisne et la ville de Bohain s'honoreraient* de se souvenir de la grande et belle figure d'un des historiens les plus éminents du siècle passé, Marc Bloch (1886-1944). Au moment du déclenchement de l'offensive allemande, il y a 70 ans, le 10 mai 1940, il est à l'Etat-Major de la 1ère armée française qui, depuis l'automne 39, est "logé" à l'école de filles de Bohain-en-Vermandois.
C'est un engagé volontaire, il n'était pas mobilisable compte tenu de son âge, 53 ans, à la déclaration de guerre. Il a déjà fait toute la guerre de 14-18 dont il est sorti capitaine après avoir été cité 4 fois à l'ordre de l'armée et reçu la Croix de guerre.
C'est un engagé volontaire, il n'était pas mobilisable compte tenu de son âge, 53 ans, à la déclaration de guerre. Il a déjà fait toute la guerre de 14-18 dont il est sorti capitaine après avoir été cité 4 fois à l'ordre de l'armée et reçu la Croix de guerre.
Marc Bloch, photo non datée. Le numéro qui figure sur son képi
est celui du régiment d'infanterie où il a combattu en 14-18
est celui du régiment d'infanterie où il a combattu en 14-18
Il a été affecté à la direction du service des carburants de l'armée la plus mécanisée du front, celle qui doit entrer en Belgique dès que les troupes allemandes y pénétreront. Curieuse affectation pour un intellectuel qui avait espéré être affecté comme officier de renseignement et de liaison avec l'armée anglaise ! La bureaucratie militaire signe, dans cette affectation, l'aveu des prolégomènes du désastre qui va suivre. Il remplit cependant avec compétence et minutie cette tâche d'organisation logistique si vitale pour une armée mécanisée vouée au mouvement. Son zèle et sa compétence seront cependant peu utiles à cette 1ère armée qui va être très vite prise au piège de l’encerclement dans la poche de Dunkerque d’où Marc Bloch parvient à s’embarquer, in extremis, pour l’Angleterre, pour retour immédiat au front via Cherbourg.
Aux armées comme dans le civil il est un intellectuel républicain passionnément engagé dans son époque « l’histoire – dira-t-il – se nourrit des questions du présent ». A Bohain où il a passé l’essentiel de la « drôle de guerre », il résiste à l’atmosphère émolliente de l’attente et d’une petite société d’Etat-Major où la compétence et la motivation ne surabondent pas, en mettant en jeu les qualités d’observation et d’analyse qu’il a développées dans son métier d’historien : « un historien –dit-il, en parlant de cette période – ne s’ennuie jamais ».
Aux armées comme dans le civil il est un intellectuel républicain passionnément engagé dans son époque « l’histoire – dira-t-il – se nourrit des questions du présent ». A Bohain où il a passé l’essentiel de la « drôle de guerre », il résiste à l’atmosphère émolliente de l’attente et d’une petite société d’Etat-Major où la compétence et la motivation ne surabondent pas, en mettant en jeu les qualités d’observation et d’analyse qu’il a développées dans son métier d’historien : « un historien –dit-il, en parlant de cette période – ne s’ennuie jamais ».
Il tirera de cette expérience, dès l’été 40, un texte qui est sans doute le diagnostic le plus pertinent des causes de la défaite. Sous le titre « L’étrange défaite » le livre ne sera publié qu’à la libération car il ne souhaitait pas le voir édité dans une France occupée. Dans ce livre il ne se contente pas d’analyser les causes militaires du désastre de 40, inadaptation de la stratégie, lenteur d’une bureaucratie militaire imbue de suffisance, incompétence du commandement, il réfléchit aussi et surtout aux faiblesses de la société française qui a produit cette machine de guerre inadaptée. Sur beaucoup de points son diagnostic reste d’ailleurs terriblement d’actualité. Ses développements sur le mode de cooptation et de sélection de nos « élites dirigeantes », sur les faiblesses et les valeurs de notre système éducatif, pourraient encore aujourd’hui inspirer des programmes audacieux de réforme.
Au moment de l’entrée en guerre il est sans doute l’historien médiéviste le plus remarquable de sa génération même si la Sorbonne, où ses origines « israélites » et sa pensée novatrice ne lui font pas que des amis, a tardé à promouvoir ses mérites. En 1929 il a fondé, avec Lucien Febvre, la revue Les Annales d’histoire économique et sociale. C’est l’acte fondateur d’une école dite « des Annales » qui va renouveler profondément la recherche historique française et l’ouvrir au grand large du monde : l’histoire s’ouvre à l’anthropologie en s’intéressant aux mentalités, à la sociologie en prenant en compte le jeu des acteurs sociaux, à l’économie en interrogeant les cycles et ruptures de la vie économique, à la dynamique spatiale des échanges et des assujettissements… pour dire bref, à une pratique interdisciplinaire de l’histoire. Cette école des Annales va devenir la filiation intellectuelle des historiens les plus remarquables de la génération suivante : Fernand Braudel (qui a beaucoup compté dans ma propre formation), Georges Duby, Jacques Le Goff, Le Roy Ladurie, en seront, parmi beaucoup d’autres. Elle donnera à la recherche historique française un prestige intellectuel de premier plan.
Marc Bloch est aussi une figure remarquable de la résistance au nazisme. En juin, déguisé en civil, il parvient à échapper à la capture et à rejoindre la « zone libre ». En octobre 40, il est déchu de son métier d’enseignant-chercheur par les premières lois antijuives de Vichy. Par exception « pour services exceptionnels rendus à la science » cette déchéance sera par la suite annulée par une mesure d’exception qui concerne une dizaine d’universitaires. Il enseigne alors à Clermont-Ferrand et à Montpellier tout en organisant pour « Combat » les premiers réseaux résistants du Languedoc. Il plonge ensuite dans la clandestinité avec le groupe « Francs tireurs » dans la région lyonnaise. Il est arrêté et torturé par la Gestapo à la prison de Montluc au printemps 44. Il est tiré de la prison pour être fusillé le 16 juin 1944 à quelques semaines de la libération qu’il sait proche. Il a ces mots de réconfort pour un très jeune homme qui fait partie du groupe promis au peloton d’exécution et qui pleure: « ils vont nous fusiller, n’aie pas peur, ils ne nous feront pas mal. Cela ira vite ».
En épigraphe à « L’étrange défaite » il avait écrit cette citation du Polyeucte :
« je ne hais point la vie et j’en aime l’image.
Mais sans attachement qui sente l’esclavage »
* Depuis lors, la ville de Bohain a accepté la mise en place, à l'entrée de l'ancienne école de filles, rue Marcelin Berthelot, un panneau qui rappelle ce séjour de Marc Bloch
« je ne hais point la vie et j’en aime l’image.
Mais sans attachement qui sente l’esclavage »
* Depuis lors, la ville de Bohain a accepté la mise en place, à l'entrée de l'ancienne école de filles, rue Marcelin Berthelot, un panneau qui rappelle ce séjour de Marc Bloch
Conseils de lectures :
« L’étrange défaite » de Marc Bloch, collection folio-histoire
«L’histoire, la guerre, la résistance » par Marc Bloch (regroupe une bonne partie de ses écrits)
Collection Quarto – Ed Gallimard
En ce jour du 10 mai, et à 70 ans de distance, je pense aussi à mon père qui était, simple soldat, engagé volontaire lui aussi (il avait été réformé en 34 pour constitution fragile), et qui était sur le front près de Longwy, sur la frontière luxembourgeoise, ce jour là. Il servait dans le 25 ème GRCA, un groupement de reconnaissance mobile assez fortement motorisé (c’était une innovation car la mobilité était alors rare dans l’armée française).
Cette unité devait s’opposer, en entrant au Luxembourg, à l’avance allemande, tandis que le gros des troupes restait à l’abri de la ligne Maginot. L’armée allemande pour protéger la course Est-Ouest de ses divisions blindées vers Sedan, leur opposa des troupes aguerries, nombreuses et lourdement armées et le 25 ème GRCA, unité légère, dut, au bout de trois jours de combat et en essuyant de lourdes pertes, se replier derrière la ligne Maginot.
Ce groupement sera ensuite envoyé sur le front de la Somme, de l’Aisne et de l’Oise et il fut à l’avant garde des combats lors de l’ultime offensive allemande dans le triangle Roye-Chauny-Pont-Sainte-Maxence où il sera décimé en couvrant la retraite du gros des troupes. Les survivants, dont mon père, parviendront à échapper à l’encerclement et à franchir la Loire. Mon père m’a laissé un journal de sa campagne de France, je le publierai peut-être, au fil des jours, sur ce blog.
2 commentaires:
Est-ce que l'école des filles de Bohain où était Marc Bloch existe encore ?
(je vous fais un mail)
Oui, j'ajouterai une photo dans le courant de la semaine
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