jeudi 14 mars 2013

Un pape écologiste ?

François d'Assise saint patron des écologistes (Sermon de Saint-François aux oiseaux par Giotto)
Ma jeunesse a baigné dans la spiritualité franciscaine et ma vieillesse comporte une part de fidélité à cette histoire. C’est en lisant les Fioretti et le Cantique de Saint-François à Frère Soleil, Sœur Lune et aux Créatures que je me suis d’abord éveillé aux beautés de la création et à la fraternité aux plus pauvres d’entre nous. Sans doute vient de là aussi mon amitié ancienne pour les ânes et particulièrement pour l’ânesse Modestine de Robert-Louis Stevenson. François d’Assise a été canonisé par une Eglise qui avait beaucoup à se faire pardonner en un temps où la frontière était ténue entre la canonisation et le bûcher (ceux qui ont lu « le Roman de la Rose » d’Umberto Ecco comprendront). C’est aussi une Eglise qui a beaucoup à se faire pardonner (mais quelle institution humaine n’a pas à se faire pardonner ?) qui a érigé François d’Assise, plus récemment (une trentaine d’années) en saint patron de ceux et celles qui se préoccupent d’écologie.

Il a aura fallu près de huit siècle pour qu’un pape porte ce nom,  c’est pour moi, ce soir, un formidable signe d’espoir. J’avais relu ces temps derniers le droit canon pour voir qui était éligible et j’y avais appris, ce dont aucun média ne vous a tenu informé, que tout prêtre catholique ou simple moine était éligible. Et de fait, au moyen âge, les papes qui n’étaient pas cardinaux mais des hommes sages ou savants ou simples moines ne furent pas si rares en un temps où la foi chrétienne était plus largement partagée. J’ai failli vous en entretenir tant l’ensemble des médias semblait ignorer complètement cette donnée, mais la rapidité du conclave ne m’en a pas laissé le temps. Alors cette élection, (dans un scrutin qui n’est pas si éloigné des règles de nos sénatoriales) d’un pape si éloigné dans ses choix de vie, des pompes et palais dorés de le curie romaine (notre République ne fait guère mieux), quelle joie !

Vous me direz : et les femmes ? C’est une vraie question. Les textes fondateurs des grandes religions monothéistes ont été écrits dans des temps ou dominaient une culture, une politique, un droit public, patriarcaux. Elles peinent (même le bouddhisme n’y échappe guère) à se dégager d’une lecture littérale  et les forces les plus obscurantistes et conservatrices y travaillent sans relâche (pas seulement dans le monde musulman comme on le dit trop souvent). Mais l’espoir luit, dans toute ces cultures, que les conservatismes finissent par céder le pas à une lecture des écritures sur des fondamentaux moins racrapotée et plus fraternelle. Déjà une partie des églises luthérienne élisent des prêtres et évêques femmes et même homosexuel (le)s. Beaucoup de femmes d’origine musulmane et dans les églises chrétiennes sont en lutte pour de nouveaux droits. Au moins peut-on espérer qu’on ne verra pas ce nouveau Pape tenir la main de Frigide Barjot dans les rues de Paris et que le message évangélique n’est pas, chez lui, soluble dans l’eau de rose.

Une chose me réjouit aussi c’est qu’il vienne d’Argentine. J’ai vécu en Amérique du Sud dans les années soixante dix, j’y ai côtoyé des sœurs et des prêtres catholiques d’origine française engagés dans les luttes pour la défense des plus pauvres, je sais le prix de sang très élevé que beaucoup (et tant d'autres) ont payé (et dont il n’est presque pas de mémoire collective) au temps des dictatures les plus féroces. Les choix de vie du cardinal argentin Jorge Mario Bergoglio font douter qu’il ait pu être de ceux (pas si rares dans l’épiscopat sud-américain) qui ne barguignèrent pas à bénir les bourreaux des « grands cimetières sous la lune ».

Un de mes livres de chevet est le « sermon de Saint-Antoine aux poissons » d’Antonio Vieira. C’est un texte fondateur de l’écologie politique dans une langue magnifique (Fernando Pessoa dit, et c’est mérité, qu’il est un des plus grands prosateurs de la langue portugaise). Antonio Vieira est un père jésuite (comme le nouveau pape) du XVII ème qui n’échappa au lynchage par ses paroissiens (colons portugais du Brésil), après un de ses sermons, qu’en s’embarquant promptement pour l’Europe. Au Portugal et en Espagne il échappa de justesse aux foudres de l’inquisition grâce à l’intervention d’un pape lettré qui en fit un des diplomates les plus remarquables de son temps. Une œuvre que je ne saurais trop vous recommander et que le nouveau pape a sans doute lue. Le cas d’Antonio Vieira n’est pas une rareté dans l’Amérique latine de cette période et ceux qui en connaissent l’histoire savent  combien nombre de jésuites et de franciscains œuvrèrent à protéger ou émanciper les communautés indiennes de la rapacité du monde colonial. Le monde musical redécouvre par exemple actuellement les partitions baroques de compositeurs indiens oubliés de Bolivie et du Paraguay qui donnent à voir que le paternalisme n’était pas le seul ressort de ces entreprises.

Cela va faire hurler beaucoup d’entre vous, tant la légende noire des jésuites est forte dans notre pays (et ça ne date pas de la République, nos rois imbus de leurs privilèges gallicans ne barguignèrent pas à les stigmatiser comme dangereux internationalistes), mais je me réjouis aussi que le nouveau pape soit un jésuite.

N’étant pas né avec une petite cuillère en argent dans la bouche je n’ai pas été éduqué par les pères jésuites comme quelques uns de mes amis. Cela me laisse peut-être une plus grande disponibilité pour lire leurs travaux savants ou spirituels. J’ai une grande curiosité actuellement pour les travaux scientifiques si remarquables des jésuites en Chine aux XVIIème et XVIII ème (finalement condamnés par Rome mais réhabilités aujourd’hui).

Comme des récits de voyages des pères franciscains, moins connus que Marco Polo, qui dès le XIII ème siècle voyagèrent en Chine et reprirent langue, au temps de Gengis Khan,  avec les civilisations d’Asie centrale et orientale et le christianisme nestorien qui y était présent sans doute depuis les premiers siècles du christianisme.

L’histoire de la route de la soie est passionnante parce qu’elle détruit l’idée de l’étanchéité  des civilisations et du caractère inexorable de la guerre entre elles.
Longue vie donc à ce pape qui a traversé les océans pour devenir évêque de Rome.

Je vous conterai un jour prochain l’histoire de l’origine de la pomme, elle aussi beaucoup voyagé sur cette route de la soie et il n’est pas impossible que sur cette route puisse s’apercevoir des leçons pour une gestion de nos vergers moins chimique et plus verte.

Si vous ne l'avez pas encore lu allez aussi voir le petit film et le texte que j'ai consacré à un autre jésuite, le Père René Courtois, créateur du jardin des simples de l'Abbaye de Vauclair dans l'Aisne en cliquant ici

8 commentaires:

François Fourquet a dit…

Cher âne vert,
   J'ai lu attentivement ton blog sur l'élection du pape François et je l'ai bien apprécié, j'aime ta tolérance qui tempère un peu ma détestation de l'Eglise catholique. J'apprécie que tu aimes François d'Assise et les Fioretti. As-tu lu "le Très Bas" de Christian Bobin (en Folio Gallimard), un très beau livre sur François? Il existe au Louvre une peinture de Giotto qui représente François soutenant l'édifice branlant de l'Eglise qui manque de s'effondrer.
   Sur les Jésuites, je suis moins ouvert que toi. Certes je connais leurs efforts pour acculturer le christianisme à la civilisation chinoise; François Xavier qui s'occcupa des Indiens et des Japonais est mon saint patron, il était courageux, mais il était porté par la violence et le fanatisme des Espagnols en Amérique et des Portugais dans l'océan Indien. Je connais aussi leurs efforts dans les "Réductions" pour protéger les Indiens du Paraguay de la violence espagnole (j'ai vu sur ce sujet un beau film où Robert de Niro tient le rôle principal). De ce point de vue ils ont, comme certains franciscains (Las Casas par exemple), sauvé l'honneur de l'Eglise, qui en général les a peu écoutés et soutenus.
   Mais par ailleurs ils furent  aussi au XVIIè siècle les inspirateurs d'une expérience totalitaire en Europe: leurs confesseurs dirigeaient la conscience de Louis XIV. Ils firent persécuter les hérétiques de Port Royal (les jansénistes) avec fanatisme, comme en fait foi les Provinciales de Pascal que j'ai lues en détail. Leur fanatisme était celui des dominicains espagnols au temps de l'Inquisition, celui aussi de l'inquisition laïque menées au XXè siècle par les communistes en URSS et en Europe de l'Est. La monarchie absolue a inventé le totalitarisme bien avant le communisme. Le totalitarisme est un régime politique où un parti politique a le monopole du pouvoir et impose par la violence sa religion à toute la société. Or le communisme est une religion laïque ou séculière, une religion sans dieu divin qui prêche le culte d'idoles laïques comme l'Histoire, la Révolution, le Communisme, la Classe ouvrière, le Parti Communiste, etc...
   La révocation de l'Edit de Nantes en 1685 et la persécution qui suivit furent une manifestation éclatante de l'intolérance totalitaire de Louis XIV, ce type étroit d'esprit qu'on nous présente comme un grand roi. Les Jésuites, dont certains furent confesseurs du roi (le père Lachaise, Le Tellier), ont-ils poussé Louis XIV à commettre cet acte désastreux qui a persécuté et exilé tant de protestants pleins de valeur?
   La condamnation des Jésuites par la papauté au siècle suivant n'a pas soulevé ma pitié; c'est la loi du christianisme: Dieu dépose les puissants et élève les humbles.
   Merci Claude pour tes réflexions stimulantes et tolérantes
 

Ane-Vert a dit…

Merci François pour Christian Bobin, je l'ai lu mais pas ce titre que je vais rechercher sans plus tarder.

Pour les jésuites français du XVIIème je sais tout ce que tu me dis, j’ai lu aussi les Provinciales, je n’avais pas envie d’y penser hier soir sans doute. Je partage ton diagnostic sur cette période, je me suis promené plusieurs fois sur le site de Port Royal où il y a maintenant un très beau verger. Pour cette période Antonio Vieira me semble contre-exemple de ce que tu dis. Dans ma jeunesse j’ai  fait un bout de chemin avec quelques amis dominicains et cisterciens qui m’ont aidé à échapper à la guerre d’Algérie (dans ma campagne haut-marnaise la gauche façon Félix ou Socialisme ou Barbarie ou sartrienne ne courrait pas les rues), je garde de ces rencontres quelque chose qui est bien plus fort que la simple tolérance. Pour la Chine il me semble que les jésuites n'ont pas seulement tenté d'acculturer le christianisme à la civilisation chinoise. Ils sont aussi tenté d'acculturer l'occident à la civilisation chinoise (leur grand dictionnaire par exemple). C'est peut-être un peu grâce à eux aussi que Tocqueville est en ce moment, si j'en crois les journaux, le best-seller des librairies chinoises.

Anne Querrien a dit…

merci pour ce papier

sororité

Anne

Anne Querrien a dit…

j'ai étudié Les exercices spirituels d'Ignace de Loyola à l'époque où je suivais les cours de Deleuze

c'est une proposition très puissante
qui consiste à rendre son âme le lieu de l'élection de Dieu
très provisoirement
en pensant si fort aux différents traits du paysage de la vie du Christ qu'on sent sa présence réelle
et qu'alors on peut poser à Dieu toutes les questions qu'on veut sur ce qu'il convient de faire

Les jésuite n'ont rien compris à cet ouvrage remarquable
qui fait vivre en direct la différence entre rhizome et arbre ( Barthes n'y avait vu que de l'arbre et j'avais trouvé son commentaire con; je m'étais dit si Loyola avait été aussi con il n'aurait jamais eu ce succès phénomnéal, d'où ma lecture de loyola dans le texte en traduction)
alors les Jésuites ont fait fabriquer des images toutes faites de la vie du Christ devant lesquels il fallait se mettre pour prier; et évidemment on n'atteignait jamais la grâce de Dieu par ce système impuissant
et du coup il fallait manoeuvre autant le sabre que le goupillon

Un trait génial d'Ignace c'est aussi d'avoir demandé à chacun des Jésuites qui partaient dans le vaste monde de lui envoyer une lettre par mois avec tout ce qu'ils voyaient, faisaient, etc...
et dans une liberté totale
comme un psychanalyste moderne Ignace ne répondait pas. On ne sait même pas s'il lisait les lettres. Il les réceptionnait et elles sont la bibliothèque du Vatican: une mine qu'on peut aller explorer depuis peu.

quand je serai bien vieille j'irai peut être voir.

en Chine j'ai été sidérée de constater que des cloches du XIV siècle étaient accordés aux intervalles de la gamme occidentale.
J'ai trouvé à Paris un livre sur la musique des chinois écrit par un jésuite. Je ne l'ai pas encore lu
Dans quel sens s'est fait le transfert de connaissances?

Mes parents fréquentaient plutôt les dominicains, du centre saint yves de la fac de droit, le père Chenu théologien des prêtres ouvriers
J'ai quitté l'église catholique à Sciences Po à cause d'un jésuite qui m'a expliqué qu'il fallait être plus charitable avec ses proches, une fille oAS par exemple, qu'avec des plus lointains, les Algériens par exemple.

Récemment il y a eu une cérémonie au couvent des Tanneries, des dominicains, où travaillait Foucault, en l'honneur du Père Raguenes, récemment décédé, avec qui je m'étais occupé des kantagais en mai 1968.
J'ai retrouvé là Alain Geismar, très en forme, qui avait travaillé avec les dominicains pour les insoumis de la guerre d'Algérie.

bises
amitiés

Ane-Vert a dit…

Très beau ton témoignage chère Anne. J'ai beaucoup de curiosité aussi pour ces lettres. Est-ce que tu sais si c'est un fonds qui a déjà fait l'objet de travaux historiques ou de publications ? J'imagine qu'ils écrivaient en latin donc ce n'est pas de ma compétence.
Tu m'as donné envie de lire Ignace que je n'ai jamais lu.
Je vais aussi chanter ce soir la paimpolaise en souvenir du phare de Bréhat et du jardin que j'y ai défriché (aujourd'hui je pense que je m'abstiendrais car j'aime de plus en plus les friches)
Bises

Germaine a dit…

Cher âne,
Je viens de lire les raisons de ta satisfaction à l'élection de ce
nouveau pape et je voudrais tout d'abord te dire mon admiration pour
ton insatiable curiosité et ta culture.

Mais j'ai aussi été surprise de lire que ce pape n'avait certes pas
trempé dans les sinistres évènements de la dictature argentine et moi
aussi, je m'étais fait la réflexion que ce qu'il affichait ne s'y
prêtait pas .Or tu ne mentionnes pas les bruits qui, dans nos médias,
disent qu'en tout cas il n'a rien manifesté contre ce régime et ces
bruits sont dérangeants ,tout de même, et ne me semblent pas permettre
une hypothèse aussi positive que la tienne
Pour le reste, si je comprends qu'il soit contre l'avortement, il est
aussi contre le port du préservatif même pour lutter contre le sida ce
qui va bien avec le fait de considérer le célibat comme" un choix de
vie comme serait la vie dans la pauvreté". Il est aussi férocement
contre le mariage gay dans lequel il voit "une finalité destructrice
du plan de Dieu" selon le JDD. (moi j'aime pas trop non plus mais pas
pour les mêmes raisons)
Donc, il y a de l'espoir dans ce qu'il dit mais pas que....
Vu ma lenteur à taper qui ne s'est pas améliorée je m'arrête
bises

Ane-Vert a dit…

J'ai lu aussi, après avoir écrit mon billet, les imputations qu'il n'aurait pas mis beaucoup de zèle à tenter d'extraire des geôles où ils étaient promis à la torture et à la "disparition" deux pères jésuites sans doute adeptes de la théologie de la libération. Dans le même temps il semble avoir oeuvré à préserver l'unité des jésuites, ce qui, en ce temps là, voulait dire ne pas exclure les théologiens de la libération. J'espère qu'il s'expliquera sur ces faits. Pie XII non plus n'a pas eu le courage du martyre face au nazisme et la Shoa mais l'ensemble des chrétiens ne s'est pas contentée de ces prudences.
Sur les questions d'éthique les positions officielles de l'Eglise me rappellent qu'elle a mis près d'un siècle à accepter la république (mais ne pas oublier non plus que le programme écrit au fronton de nos bâtiments publics reste largement à accomplir). Nous brocardons souvent les talibans pour leur lecture figée du Coran, mais ces tendances existent aussi dans la plupart des courants religieux. L'ancien et le nouveau testament ont été écrit dans des sociétés patriarcales. Le mariage, bien quil ne fut pour Saint-Paul qu'un pis aller, un usage civil et civilisé et nullement un sacrement (il a fallu plus de dix siècles pour que l'Eglise en fit un sacrement) il était plutôt protecteur pour les femmes dans ces sociétés où les épouses étaient facilement jetées ou répudiées sans autre forme de procès. Quant au divorce, les hommes n'en avaient guère besoin pour convoler dans de nouvelles noces dans un temps où les deux tiers des femmes mouraient en couche avant l'âge de 25 ans.
Il faut ne pas oublier que la République n'a donné le droit de vote aux femmes qu'en 44 (pas 44 avant ou après J.C. en 1944 !)et qu'il est très récent, en France, qu'une épouse puisse ouvrir un compte en banque sans l'autorisation de son mari. Le combat n'est donc pas fini pour que la République accomplisse ses promesses comme pour que l'Evangile soit annoncé comme un message d'amour, de justice, de paix entre les civilisations... et de respect de la laïcité qui nous protège des théocraties cléricales (et les clercs prompts aux abus de pouvoir ne manquent pas dans toutes les familles spirituelles et philosophiques)

Ane-Vert a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.