mercredi 31 mars 2010

PPRI : risque d’inondation et risque de double peine pour les populations soumises au risque.


Un groupe de résistants qui demandent la révision du  PPRI de la haute-vallée de l'Oise en Thiérache
  
Les récentes inondations sur les côtes charentaises et vendéennes ont sorti de la confidentialité des enquêtes publiques et des concertations obscures, les PPRI ou Plans de Prévention du Risque d’Inondation. A cette occasion on a assisté dans les grands médias à un jeu de chaises musicales où les responsabilités de l’Etat, des collectivités locales, des habitants, des changements climatiques, étaient tour à tour jetées au feu de l’actualité dans un ballet d’hélicoptères peu propice à la réflexion. Il se trouve que j’ai eu à examiner dans le détail,  en décembre et janvier, le PPRI  de la Haute-Vallée de l’Oise mis, par les services de l’Etat, à enquête publique en Vermandois et Thiérache dans les communes concernées.  Je voudrais vous livrer quelques réflexions sur le sujet, à la fois comme habitant d’un fond de vallée humide, mais aussi avec l’œil aiguisé , sur le terrain, du cartographe, la mémoire de la longue durée de l’historien, et l’attention du sociologue aux conséquences pour les populations concernées.

J’habite un village en aval de Guise, dont une partie de l’urbanisation ancienne : le château construit depuis des temps immémoriaux en fond de vallée mais sur un tertre, le site d’une ancienne abbaye cistercienne datant de 1143 (abritant aujourd’hui un monument historique, une imprimerie, et un moulin dont les fondations sont cisterciennes), une dizaine de maisons datant du début du XIXème, et une seule maison datant d’une vingtaine d’années, sont dans la zone dite à risque.

La première chose qui devrait être prise en compte dans un PPRI raisonné, devrait être, l’effort d’adaptation, parfois de très longue durée, des populations au risque identifié. Si depuis des temps immémoriaux les hommes ont habité les vallées, les côtes, c’est parce que l’eau, avant d’être une source de risque, est une source de vie. On peut rêver de revenir au temps du néolithique (encore que l’habitat lacustre sur pilotis y était important), mais il faudrait à ce compte rayer de la carte des zones habitables une bonne partie de la Flandre française, de nos estuaires, l’essentiel de la Flandre belge et des Pays-Bas, des villes comme Venise….et même une bonne partie de la ville de Paris ! Or dans notre PPRI de la vallée de l’Oise, comme dans une bonne partie  de ce qui a été donné à voir par les médias sur les inondations côtières de cet hiver, aucune distinction n’est faite entre lez zones d’urbanisation anciennes et les zones d’urbanisation récente.

Examiner les erreurs ou les abus dans les zones d’urbanisation récente n’est certes pas illégitime et même salutaire à la condition que les habitants concernés ne soient pas condamnés à la double peine : après l’inondation le zèle de l’administration, des promoteurs, des collectivités locales, des assureurs, à ouvrir bien grand les parapluies qui laisseront les populations inondées définitivement sur le flanc : primes d’assurances fortement majorées, patrimoines désormais sans valeur, découragement général. Les survols d’hélicoptères masquent mal, sur les zones côtières, les carences d’entretien des digues, la dictature partout présente des lobbies du court terme, le désengagement de l’Etat dans les outils  permettant la maîtrise de l’urbanisation dans les zones littorales (Agences foncières de la Loi littoral).
Quant aux zones d’urbanisation ancienne ou très ancienne les efforts d’adaptation multiséculaire des hommes devraient être pris en compte, en ne négligeant pas bien entendu leurs fragilités ou les leçons positives que l’on peut en tirer, mais en reconnaissant à la base qu’elles relèvent d’un patrimoine qui doit être défendu. Défendu veut dire qu’on ne se contente pas de l’enserrer dans un carcan réglementaire dont la seule finalité serait de décourager pour l’avenir toute présence humaine dans ces zones conquises.

Dans la zone que je connais le mieux de la Haute-Vallée de l’Oise, l’administration et les bureaux d’études associés à la préparation du PPRI ont fait très fort pour produire un plan qui n’a de prévention que le nom. J’ai assez travaillé dans ma vie avec les bureaux d’études pour savoir que le mot d’ordre général chez les plus prospères est souvent « on ne va pas réinventer l’eau chaude » raison pour laquelle ils ne fabriquent souvent que de l’eau tiède : l’administration et une bonne partie des élus voulaient un parapluie bien large, ils l’ont eu au delà des espérances. Comme on est dans une zone de ce rural profond où les compétences comme les ressources sont de plus en plus chichement mesurées, l’administration a la mémoire courte. A Paris l’administration a gardé une mémoire précise de la grande crue de 1910 et de sa zone d’expansion maximum. En Thiérache pas de crue centenaire de référence la seule crue qui fait référence, mais on hésite à la qualifier de centenaire, est celle de 1993. Pour pallier à cette lacune on a zoné très large, de surcroit sur une cartographie peu adaptée, le 1/25OOOème dont les courbes de niveau sont à peu près illisibles en zones densément peuplées,  imprécision qui élargira encore, par surcroit de précaution, aux marges de la zone de risque de nouvelles zones du suspicion. Un habitant d’un hameau a raconté que dans une transaction immobilière récente (heureusement pour eux c’était une transaction intra-familiale et la famille connaît le terrain depuis très longtemps) le notaire les a prévenus que la maison était inondable sur la foi de documents de la DDE. En fait, en examinant bien la carte et le terrain, la maison est, en altitude, à 1m50 au dessus de la courbe de risque (elle même très exagérée au dire de tous les habitants concernés). Seules quelques communes urbaines ont eu droit à une cartographie au 1/5OOO ème qui devrait être le minimum exigible notamment dans des zones villageoises anciennement et assez densément urbanisées.

Ensuite l’ancienneté de l’urbanisation, sa pérennité dans une zone dite à risque, n’a jamais été prise en compte par les concepteurs du PPRI comme un signe d’un effort d’adaptation. Ils n’ont pas vu que le château est construit sur un tertre (de la route proche on ne voit que les douves qui sont bien entendu, comme les fossés, au niveau de la prairie inondable). Ils n’ont pas suspecté qu’un moulin construit sur un bief abbatial avait déterminé au fil des siècles, un niveau de plancher qui le met hors d’eau. Ils n’ont pas vu que les maisons construites en bord de route-digue étaient en surélèvement par rapport à la prairie amont et qu’au demeurant les niveaux des rez-de-chaussées  y avaient généralement été adaptés au risque, avec de surcroit une construction sur 2 étages qui accroit encore la sécurité des lieux en cas de niveau d’inondation dépassant le niveau du connu et de la mémoire partagée. Ils n’ont pas vu non plus sur le site abbatial que les moines cisterciens, ont surélevé les sols sur lesquels ils ont construit de plus d’un mètre, laissant seulement la zone des étangs et des prairies au niveau initial de la vallée. Une partie des bâtiments ont été classés en zone à risque limités et d’autres qui ne présentent ni plus ni moins de risques, compte tenu de la configuration du terrain, ont été purement et simplement rayées de la carte, classées dans la zone rouge qui les entoure.

Par ailleurs les concepteurs ne se sont pas embarrassés, comme on l’a fait à Paris, d’une gradation des risques. Les contraintes d’urbanisme et architecturales seront les mêmes dans des zones où le risque est d’une inondation de  l’ordre la dizaine de centimètres  deux ou trois fois par siècle et les zones où le risque de submersion est supérieur à 1 mètre. 

 Si on compare avec le PPRI de Paris (plus de 20% de la ville est inondable en prenant pour référence l’inondation de 1910) on s’aperçoit que l’administration a établi  sur ce site un document qui hiérarchise les zones de risque et qui prescrit des mesures de précaution adaptées à chaque niveau de risque. Pour mesurer la médiocrité du PPRI de la haute vallée de l’Oise il suffit de remarquer qu’appliqué à Paris il aurait eu pour conséquence l’annulation des permis de construire de la gare souterraine de Châtelet les Halles, du forum des Halles, du Centre Georges Pompidou, des espaces souterrains du grand Louvre, d’une bonne partie des parkings souterrains de la ville, de la transformation de l’ancienne gare d’Orsay en Musée, et …de tout aménagement ou extensions nouveaux (notamment souterrains) au Palais de l’Elysée !

D’un côté un vrai plan de prévention assorti d’une planification des investissements (tout n’est pas réalisable du jour au lendemain) et des urgences, de l’autre un plan qui, s’il devait être adopté en l’Etat (ce que la résistance de quelques communes permettra peut-être d’éviter), n’aura pour conséquence que de décourager la vie existante en fond de vallée. Avec pour conséquence environnementale un paradoxe on accroitra encore le risque d’inondation en provoquant un surcroit  d’étalement urbain car à mesure qu’on fuira les vallée on en rajoutera dans le bétonnage et la bitumisation  des bords de plateaux !
Pourtant le travail en finesse n’était pas si considérable car on était dans un contexte où les zones urbanisées anciennes et assez denses n’étaient pas si nombreuses (Hirson, Etréaupont, Guise, Lesquielles-Saint-Germain, Vadencourt) ... très peu d’ouvrages sous-terrains, bien loin de la complexité parisienne. Figer complétement le bâti existant en corsetant très étroitement  les permis de construire d’extensions ou d’adaptation du bâti ancien relevait-il vraiment de la prévention ?  Où est l’équité territoriale dans ces contrastes de traitement du risque ?

Une chose bien curieuse est aussi que les concepteurs de ce « plan de prévention » ont négligé de répercuter sur les zonages de risque les conséquences positives en aval – soit un écrêtage des crues de plusieurs dizaines de centimètres nous a-t-on dit lors de l’inauguration – de l’ouvrage de rétention des crues de Proisy alors qu’on a répercuté en amont l’élargissement de la zone inondable ! Comme s’il s’agissait de ruiner la crédibilité d’ouvrages qui ont pourtant mobilisés des fonds publics considérables, alors même que d’autres ouvrages sont en projet et font l’objet de contestations. On peut se demander dans quel camp joue l’administration dans ce jeu dont on espère pourtant qu’il n’est pas un poker menteur.

Certes me dira-t-on une partie des élus ont approuvé ce plan : par les temps qui courent, refuser ou soumettre à arguments raisonnables un grand “parapluie”  ou une “usine à gaz” est un acte de courage rare. Et les compétences manquent, particulièrement quand on néglige toute concertation avec les personnes aux premières lignes des problèmes. Le chapitre du PPRI qui relate la phase de concertation qui a précédé l’enquête publique, met en évidence que cette concertation a suscité très peu d’intérêt. La majorité des élus, y  compris le Conseil Général, ont laissé faire et se sont tu, les arguments manquaient, le temps raréfié et bétonné de tant de réunions où il faut courir et de précautions à prendre, les réglementations qui se multiplient, s’annulent, se contredisent, s’oublient  et se réveillent au gré des émotions du moment, l’esprit s’embrouille et je comprends parfaitement ces contraintes. Quand les politiques sont aux abonnés absents c’est le simulacre de la compétence technique qui gouverne.  Je tire de cette réflexion une piste de réforme législative de la loi qui régit les PPRI : que l’enquête publique, au lieu de suivre la concertation avec les élus , précède cette concertation. Ce qui donnerait peut-être, si ces enquêts ne sont pas, comme c’est trop souvent le cas, des simulacres dont la publicité n’est assurée que par un affichage symbolique au panneau de la mairie, un peu de grain à moudre à nos élus dans leurs rapports avec l’administration.

Et puis aussi pour conclure, se souvenir que de grandes civilisations (les vallées de l’Euphrate et du Nil, l’Inde, le Sud-Est asiatique) sont nées dans des zones humides et inondables (les crues y étaient bénédiction des Dieux), que l’essor prodigieux de l’occident à la sortie du Moyen-Age s’est fait à partir de villes (Venise, Amsterdam, Londres, Paris, Anvers, Gand..) qui avaient pour l’essentiel les pieds dans l’eau, que Godin a construit son Familistère au bord de l’Oise, que la prodigieuse aventure des cisterciens au 12 ème siècle (un peu comme si Godin avait construit 400 Familistère de son vivant !) a mis son coeur dans les zones humides (Clairvaux, Vauclair, Vaucelles, Valloires, Vauluisant ...etc) et pris son élan au bord de tous les ruisseaux d’Europe avant d’aller défricher plateaux et forêts.
 
Voilà ce dont j’aurais aimé que se souviennent les concepteurs du PPRI en évitant de nous figer durablement en zone indifférenciée d’expansion des crues et dans un corset réglementaire bien serré laissant peu d’opportunités à la mémoire comme à l’innovation.

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