jeudi 15 avril 2010

Armand et Alice Fraysse "Justes parmi les Nations" et fondateurs de l'Auberge de Jeunesse de Saint-Antonin Noble-Val

 Alice Fraysse et son mari Armand, des "Justes parmi les Nations" - Saint-Antonin Noble-Val années 30 ou 40
 
Relisant, il y a peu, des notes prises il y a 30 ans dans le dossier des « affaires juives » de la commune de Saint-Antonin  Noble-Val (Tarn-et-Garonne), en vue d’un travail d’historien, l’envie m’est venue de vous parler d’une femme exceptionnelle qui fut mon amie durant les 15 dernières années de sa vie : Alice Fraysse. Grâce au travail de mémoire d’un enfant qu’elle avait sauvé de la déportation (elle en protégea d’autres dans l’Auberge de Jeunesse qu’elle avait fondée), Jacques Bronstein, devenu médecin à Jérusalem, elle intégra en l’an 2000, à titre posthume, la communauté, si précieuse pour l’histoire, des « Justes parmi les Nations » en compagnie d’Armand son mari. Je n’ai pas connu Armand car j’ai connu Alice à un moment où il reposait déjà au petit cimetière protestant de Saint-Antonin.

Alice fut au temps de l’occupation une résistante au quotidien, c’est un courage qui lui venait de loin puisqu’elle appartenait, par tradition familiale, à ce petit noyau résiliant de la communauté protestante de Saint-Antonin. Cette ville fut au XVIème siècle une place forte protestante qu’assiégea Louis XIII, plus tard la communauté fut décimée, contrainte à l’exil ou à la conversion forcée, au temps de la révocation de l’Edit de Nantes.  Jacques Bronstein, évoquant en 2000 les souvenirs de son arrivée à Saint-Antonin , écrivait : « J’ai un souvenir très précis de mon arrivée chez Alice et Armand. C’était .. en 1943, j’avais six ans. Il faisait très froid. Me mettant en pyjama, Tantine me dit : « je t’ai mis moine dans ton lit ». Je fus effrayé et, pleurant à chaudes larmes, je lui dis que je ne voulais pas dormir avec un moine. Avec un grand sourire elle m’expliqua qu’il s’agissait d’un appareil de chauffage à base de braises qu’on introduisait dans le lit pour le réchauffer. A moitié rassuré, j’acceptai de me coucher dans un lit délicieusement chaud et accueillant. Tantine s’assit sur le bord du lit, me caressa doucement les cheveux et me dit, avec une douceur angélique, que je n’avais rien à craindre, qu’elle ferait tout pour  que je me sente en famille chez eux, que je ne devais rien raconter aux enfants avec lesquels j’allais être en contact. Je devais dire qu’ils étaient mes oncle et tante et c’est tout. Elle se leva, alla chercher un livre qu’elle me montra et me dit : «  tu vois ce livre s’appelle la Bible, il raconte l’histoire de ton peuple, le peuple juif. Pour nous aussi, Protestants, ce livre est saint, car il raconte aussi l’histoire de Jésus. Tu dois être fier d’être juif, et nous, nous aimons les Juifs parce que Jésus était juif. »

En 1936, après la victoire du Front Populaire, Alice avajt écrit à Léon Blum pour lui proposer la reconversion de son moulin de Saleth, où Armand draguait le sable dans le lit de l’Aveyron, en Auberge de Jeunesse. Chose dite, chose faite. Des milliers de jeunes, y compris des allemands, affluèrent à Saint-Antonin jusqu’à la déclaration de guerre. Pendant l’occupation ce sont les enfants déshérités de Montauban qui viennent s’y refaire une santé et, chaque fois qu’il y rafle dans la nombreuse communautés de réfugiés juifs de Saint-Antonin, les familles viennent confier les enfants à « Tantine » avant de s’enfuir, s’ils le peuvent, vers les causses et les hameaux environnants.

C’est une activité qui n’est pas sans risques, une partie des notables collaborent activement à la « gestion de la question juive » . Le secrétaire de mairie, par exemple, qui note le 26 octobre 1942, en marge d’une liste de recensement des Juifs réfugiés à Saint-Antonin destinée au Préfet : « présumés juifs ne s’étant pas présentés au recensement : famille Kahan (maison Palaprat), et Sternher Jacques (Tour du Pré). On ne sait pas s’ils furent arrêtés après cette dénonciation, on ne trouve pas trace d’eux dans les recensements postérieurs. Le 3 juillet 43 le juge de paix rappelle au Maire de la commune ses devoirs : apposer la mention « juif » sur les cartes d’identité et d’alimentation, et, pour les personnes non astreintes à la carte d’identité (les enfants), « le rapport de moralité devra indiquer s’il est « juif » ou s’il y a lieu de procéder à des vérifications à cet égard».

  Première rafle en juin 43 à l’initiative de la police allemande : 10 personnes juives d’origine russe, ukrainienne, polonaise, allemande, sont arrêtées et déportées au camp de Drancy. Peu après le commandant de ce camp (commissaire de police français) réclame au maire de Saint-Antonin les cartes d’alimentation des personnes internées alors que les maisons ont été pillées et les clefs emmenées par la police allemande. C’est sans doute une ruse pour faire croire à une déportation indolore. Ensuite le préfet diligente un nouveau recensement et le maire signale au Préfet les difficultés de ce recensement (« certains sont encore dans la commune même, à la campagne, d’autres y viennent faire un tour et repartent, le recensement ne pourra être fait que du 15 au 20 (juillet), délai pendant lequel ils doivent venir signer à la mairie. Il ne nous sera pas possible de vous signaler ceux qui auraient quitté irrégulièrement la commune ». En août nouvelle rafle, cette fois on ne parle pas de « police allemande », c’est peut-être la gendarmerie qui est en ligne. Le formalisme bureaucratique faiblit (ou les pièces ont disparu), dix noms sont rayés des listes avec une date « 25-8 » : une majorité de juifs d’origine allemande, autrichienne, hollandaise, mais aussi quelques juifs d’origine polonaise ou lettonne.Ensuite les photocopies des pièces que j’ai sous les yeux sont muettes.

Après guerre l’activité de l’Auberge de Jeunesse reprend avant de devenir colonie de vacances de la ville de Montauban. Quand j’ai connu Alice elle recevait encore des cartes postales du monde entier dont l’adresse était simplement « Tantine, Saint-Antonin » et le facteur savait acheminer à bon port ces correspondances.

J’espère un jour pouvoir vous faire entendre et aimer Alice Fraysse dans la musique même de sa voix : à la fois jouette (comme on dit à Liège) et grave, chantante et exigeante, inoubliable, aimante, celle d’une belle personne.

Si vous passez un jour par Saint-Antonin, dans les gorges de l’Aveyron, arrêtez-vous un instant place du Timplé (le Temple en occitan), sur la droite vous verrez la petite maison où elle vécut et où est apposée une plaque commémorative qui rend hommage à la mémoire d’Alice et d’Armand. Et si vous avez un peu de temps demandez dans la ville Francis Jourdes, son arrière neveu, qui sera heureux de vous parler d’Alice et d’Armand.
Auberge de Jeunesse du moulin de Saleth à Saint-Antonin Noble-Val, fin des années 30
Alice dans les années d'après guerre à Saint-Antonin Noble-Val

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