Les francs maçons dans l'Aisne, un pouvoir occulte ? Couverture de l'édition régionale de l'Express
Il y a eu plusieurs âges de la franc-maçonnerie. Au 18ème, quand Mozart en était, dit-on, et j’aime beaucoup « la flûte enchantée » ou sa messe maçonnique, c’était le lieu où se retrouvaient toutes les élites réformatrices de l’époque des lumières qui ne supportaient plus l’absolutisme royal et les dogmes coulés dans le bronze. Ils tendaient vers une spiritualité laïque, pour les moins imaginatifs ça se réduisait à faire tourner les tables. Ils ne bouffaient pas encore du curé : c'aurait été de l’anthropophagie car qu’une bonne partie des loges était alors composée d’évêques et de chanoines (les bonnes sœurs et les curés de campagne pouvaient aller se faire rhabiller).
Sous la restauration et l’Empire (le second) la franc maçonnerie est surtout saint-simonienne : elle investit les bénéfices de l’industrie et du grand commerce dans la religion du progrès technique, des chemins de fer et de l’industrie lourde. Les évêques et les chanoines ont déserté les loges mais dans l’aventure coloniale francs maçons et missionnaires feront plutôt bon ménage, sauf quand les curés se mettront à prôner le respect de l’indigène voire la décolonisation. Il y aura alors de la fâcherie dans l’air, et plus si affinités.
A la belle époque des années 1900, la franc-maçonnerie vire à l’anticléricalisme militant (tout en singeant les liturgies cléricales). Cette hostilité militante tient pour une part au fait que l’Eglise s’est alors enferrée dans des postures morales, sociales et politiques d’arrière garde mais aussi, chose moins dite, au fait qu’elle est soupçonnée de mollesse sentimentale par une gauche républicaine virile et patriote qui rêve de revanche et supporte mal de voir la gent féminine continuer à aller à vêpres. Les congrégations seront stigmatisées au moment (salutaire) de la séparation de l’Eglise et de l’Etat pour des motifs aussi louches que les jésuites au 18ème : on leur reprochait officiellement leur hostilité au gallicanisme (la main mise de l’Etat sur la sphère religieuse) et officieusement les colons et les commerçants au long cour de la traite esclavagiste, supportaient surtout très mal leur internationalisme et leur défense des sociétés indigènes.
La guerre de 14-18 provoque une pause dans ces hostilités intérieures : le zèle que met l’Eglise à soutenir le moral des troupes et à bénir les massacres de masse lui vaut un regain de respect même chez les francs-maçons. L’entre deux guerre ne sera pas une période faste pour la franc-maçonnerie bien qu’elle continue à fournir ou à fédérer une bonne partie des élites républicaines, notamment chez les radicaux.
Pétain n’a pas été réglo avec les frères dont un fort contigent, parlementaire, lui avait voté les pleins pouvoirs. Il en fait un de ses boucs émissaires favoris. Le fascisme d’inspiration païenne et nihiliste n’aimait pas les cléricatures fussent-elles laïques, il visait une mobilisation totalitaire des consciences, des énergies des imaginaires. Ils seront persécutés et parfois déportés. En moins grand nombre cependant que les Juifs, les Tziganes, les Slaves et les malades mentaux.
Après guerre ils auront un petit passage à vide mais de Gaulle leur fournira une figure à qui s’opposer : on le soupçonne d’être maurrassien, crypto royaliste, bigot. Et puis il a donné, c’était dans le programme du CNR, le droit de vote aux femmes ! Par décret signé à Alger de surcroît, un vrai dictateur ! Dans ma jeunesse j’ai entendu des directeurs de collèges ou de lycées qui portaient fier à leur boutonnière leur allégeance maçonnique dire, sans rire, que « de Gaulle avait donné le droit de vote aux femmes parce qu’elles votent comme le curé leur dit de voter ». Ils admiraient aussi la virilité d’un Guy Mollet qui se fit élire sur un programme de paix en Algérie et y envoya le contingent pour des opérations qui – disait-il- n’étaient pas « de guerre ». On avait trouvé un nouveau mot qui était la « pacification » comme aujourd’hui on parle de « techniciens de surface » (les conséquences étaient plus lourdes). Les « frères » aimaient d’autant moins les curés, dans ces années là, qu’on en croisait pas mal au PSU.
Alors aujourd’hui on leur reproche leur clandestinité, une pratique de « boutique obscure », et, franchement elle ne me paraît pas plus patente que dans la plupart des groupuscules politiques, syndicaux ou professionnels. Personnellement j’y vois une sorte de groupuscule pour notables où se rencontrent une bonne partie du haut du panier de la classe politique et du monde économique. Ça a la même fonction qu’avait la cour sous Louis XIV, c’est un lieu de socialisation où les participants peuvent vérifier qu’ils se détestent mutuellement tout en s’accordant sur le fait qu’ils ne se feront pas de misères irrémédiables. C’est le lieu où se fixe sans doute une sorte d’ « éthos » de classe (comme disait Bourdieu), à ce titre c’est un espace de pacification, une fois passée l’épreuve des joutes électorales. Ne pas en être, quand on a quelque ambition locale, peut à l'occasion exposer à quelques désagréments : mon ami Daniel Dormion, ancien maire de Bohain et promoteur de la Maison Matisse, en a fait, à ses dépens,la bien cruelle expérience, par exemple.
Dans le pire des cas c’est le lieu des petits arrangements souterrains où se forge le respect mutuel et les frontières des territoires de pouvoir (mais ont-ils vraiment besoin de ça pour exister ?), dans nos provinces, entre les petits patrons du BTP, de la grande distribution, de l'agro-alimentaire, de nos autorités consulaires, et la classe politique. A ce niveau régional le grand patronat des industries d’armement, des médias et de la finance, ne sont pas dans le coup, leurs intérêts se jouent à un autre niveau. La franc-maçonnerie s’identifie donc surtout, ce me semble, à la République provinciale des notables.
On m’a proposé un temps d’en être : j’ai dit non, merci, ce n’est pas pour moi. C’était sans animosité et je ne le regrette pas, bien que ça aurait peut-être – allez savoir – fait avancer la cause de mon élection à l’Académie française ! Il vaut toujours mieux rire de nos misères que de faire pleurer son public. Et je vous souhaite d’en rire plutôt que de trembler à l’ombre des pouvoirs occultes.
Sous la restauration et l’Empire (le second) la franc maçonnerie est surtout saint-simonienne : elle investit les bénéfices de l’industrie et du grand commerce dans la religion du progrès technique, des chemins de fer et de l’industrie lourde. Les évêques et les chanoines ont déserté les loges mais dans l’aventure coloniale francs maçons et missionnaires feront plutôt bon ménage, sauf quand les curés se mettront à prôner le respect de l’indigène voire la décolonisation. Il y aura alors de la fâcherie dans l’air, et plus si affinités.
A la belle époque des années 1900, la franc-maçonnerie vire à l’anticléricalisme militant (tout en singeant les liturgies cléricales). Cette hostilité militante tient pour une part au fait que l’Eglise s’est alors enferrée dans des postures morales, sociales et politiques d’arrière garde mais aussi, chose moins dite, au fait qu’elle est soupçonnée de mollesse sentimentale par une gauche républicaine virile et patriote qui rêve de revanche et supporte mal de voir la gent féminine continuer à aller à vêpres. Les congrégations seront stigmatisées au moment (salutaire) de la séparation de l’Eglise et de l’Etat pour des motifs aussi louches que les jésuites au 18ème : on leur reprochait officiellement leur hostilité au gallicanisme (la main mise de l’Etat sur la sphère religieuse) et officieusement les colons et les commerçants au long cour de la traite esclavagiste, supportaient surtout très mal leur internationalisme et leur défense des sociétés indigènes.
La guerre de 14-18 provoque une pause dans ces hostilités intérieures : le zèle que met l’Eglise à soutenir le moral des troupes et à bénir les massacres de masse lui vaut un regain de respect même chez les francs-maçons. L’entre deux guerre ne sera pas une période faste pour la franc-maçonnerie bien qu’elle continue à fournir ou à fédérer une bonne partie des élites républicaines, notamment chez les radicaux.
Pétain n’a pas été réglo avec les frères dont un fort contigent, parlementaire, lui avait voté les pleins pouvoirs. Il en fait un de ses boucs émissaires favoris. Le fascisme d’inspiration païenne et nihiliste n’aimait pas les cléricatures fussent-elles laïques, il visait une mobilisation totalitaire des consciences, des énergies des imaginaires. Ils seront persécutés et parfois déportés. En moins grand nombre cependant que les Juifs, les Tziganes, les Slaves et les malades mentaux.
Après guerre ils auront un petit passage à vide mais de Gaulle leur fournira une figure à qui s’opposer : on le soupçonne d’être maurrassien, crypto royaliste, bigot. Et puis il a donné, c’était dans le programme du CNR, le droit de vote aux femmes ! Par décret signé à Alger de surcroît, un vrai dictateur ! Dans ma jeunesse j’ai entendu des directeurs de collèges ou de lycées qui portaient fier à leur boutonnière leur allégeance maçonnique dire, sans rire, que « de Gaulle avait donné le droit de vote aux femmes parce qu’elles votent comme le curé leur dit de voter ». Ils admiraient aussi la virilité d’un Guy Mollet qui se fit élire sur un programme de paix en Algérie et y envoya le contingent pour des opérations qui – disait-il- n’étaient pas « de guerre ». On avait trouvé un nouveau mot qui était la « pacification » comme aujourd’hui on parle de « techniciens de surface » (les conséquences étaient plus lourdes). Les « frères » aimaient d’autant moins les curés, dans ces années là, qu’on en croisait pas mal au PSU.
Alors aujourd’hui on leur reproche leur clandestinité, une pratique de « boutique obscure », et, franchement elle ne me paraît pas plus patente que dans la plupart des groupuscules politiques, syndicaux ou professionnels. Personnellement j’y vois une sorte de groupuscule pour notables où se rencontrent une bonne partie du haut du panier de la classe politique et du monde économique. Ça a la même fonction qu’avait la cour sous Louis XIV, c’est un lieu de socialisation où les participants peuvent vérifier qu’ils se détestent mutuellement tout en s’accordant sur le fait qu’ils ne se feront pas de misères irrémédiables. C’est le lieu où se fixe sans doute une sorte d’ « éthos » de classe (comme disait Bourdieu), à ce titre c’est un espace de pacification, une fois passée l’épreuve des joutes électorales. Ne pas en être, quand on a quelque ambition locale, peut à l'occasion exposer à quelques désagréments : mon ami Daniel Dormion, ancien maire de Bohain et promoteur de la Maison Matisse, en a fait, à ses dépens,la bien cruelle expérience, par exemple.
Dans le pire des cas c’est le lieu des petits arrangements souterrains où se forge le respect mutuel et les frontières des territoires de pouvoir (mais ont-ils vraiment besoin de ça pour exister ?), dans nos provinces, entre les petits patrons du BTP, de la grande distribution, de l'agro-alimentaire, de nos autorités consulaires, et la classe politique. A ce niveau régional le grand patronat des industries d’armement, des médias et de la finance, ne sont pas dans le coup, leurs intérêts se jouent à un autre niveau. La franc-maçonnerie s’identifie donc surtout, ce me semble, à la République provinciale des notables.
On m’a proposé un temps d’en être : j’ai dit non, merci, ce n’est pas pour moi. C’était sans animosité et je ne le regrette pas, bien que ça aurait peut-être – allez savoir – fait avancer la cause de mon élection à l’Académie française ! Il vaut toujours mieux rire de nos misères que de faire pleurer son public. Et je vous souhaite d’en rire plutôt que de trembler à l’ombre des pouvoirs occultes.
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